Encore, encore ! Alignez les chiffres, additionnez, multipliez, empilez les corps, démembrez les familles, cloisonnez les étreintes, abolissez les adieux, effacez les noms. Les millions perdent tout visage.
Comptez bien ! Comptez les masques, les doses, les aiguilles, les minutes d’aération, les mètres entre les peaux, entre les souffles de bouche à bouche l’espoir s’étouffe dans les plis de papier, comptez les indociles, les effrayés, les réfractaires, montrez du doigt, isolez, enfermez, éloignez, emmerdez-les.
Alignez, alignez-les bien, les hommes de l’ordre casqués, derrière leurs boucliers, armés de lacrymo et de balles, envoyez-les ramener le calme, encercler, frapper, crever les yeux, arracher les mains, semer la trouille dans les baskets des révoltés qui comptent, eux, chaque heure, chaque sou, chaque humiliation.
Achetez, achetez la dernière bagnole pour relancer l’industrie automobile ! Prenez l’avion, soyez touristes ! Faites les soldes, entassez les biens, videz les stocks des magasins.
Evaluez, évaluez le nombre de têtes nucléaires, les centaines de kilomètres d’ici à la frontière, quelle portée les missiles ? Pesez les conséquences de chaque mot, chaque balle, chaque arme vendue, reçues, avalées par les rues, par les gorges, par l’avenir, par l’idée même de paix.
Allez-y, osez, osez peser chaque pas dans les poussières d’immeubles, chaque coup, chaque goutte entre les cils – combien de millilitres une larme ? – chaque lèvre scellée, chaque sillon dans les cernes, chaque once de peau pétrifiée. Osez alors estimer le gain de points dans les sondages pour un mot compatissant.
Poussez, allez ! poussez le cynisme jusqu’à mesurer le poids d’une vie déchirée par les missiles, les balles, les machettes. Peau blanche ou peau noire. Noire ? laissez noyer.
Comptons, amis, comptons nous aussi, mais les uns sur les autres. Sentons les vibrations de l’air, les palpitations, la chair, la sueur, l’autre dans les bras recueilli. Prenons sur notre épaule la tête lourde d’impensable, tremblons, tremblons devant l’absurde qui advient, qui est advenu déjà.
… magnifique !
Merci beaucoup Christiane. Je n’étais vraiment pas sûre de ce texte. Peur qu’il soit trop simpliste, mais c’est sorti d’une nausée des chiffres qui me tord. Qui efface les visages, les noms.
Merci pour ce texte, Hélène…
Très fort de sens votre texte. Très fort de chiffres les néocapitalistes. Merci pour « Comptons, amis, comptons nous aussi, mais les uns sur les autres. » et pour » tremblons devant l’absurde qui advient, qui est advenu déjà. ». Merci beaucoup.