Il rentre dans la boutique. Il tourne un peu, il marmonne ou il pense – lui et nous, nous en moquons, ça ne fait guère de différence, il est seul et donc il divague, il aime bien ça divaguer — : téléphoner à ma femme, lui rappeler le déjeuner familial. Lui dire aussi que j’ai aperçue son amie – ou notre amie plutôt, oui dire notre amie – dans la voiture… Ce profil etle désir de mer, incongru, qui m’a tenu un instant. Si brusque et fort. Un saut dans… Avons grandi… juste un misérable petit retour de l’adolescence. Du temps de la mer et des désirs timides – étions les deux timides du groupe, ne pouvions que nous fuir. Plaisir tout de même ce rappel, étonnante sa fulgurance (vraiment, ce mot ! mais oui). Tudieu depuis j’ai dû ranger le désir de mer – de notre plage brûlante mais pas que, non c’était de cette mer qui incendiait les yeux à midi, et puis de ces petits matins, les pieds dans le sable encore humide de la fraîcheur nocturne, le poids des voiles, le dériveur, la matinée paresseuse sous prétexte de pêche, le soleil sautant de la mer à sa nuque sous les cheveux relevés, les petits rires des autres – et elle aussi elle l’a oublié, depuis longtemps je pense, ce désir de mer. D’ailleurs, pour moi, avant, juste avant que nous rentrions dans l’âge adulte, il y a eu Chantal,et le souvenir des jambes poissées par les épines de pin, c’est avec elle, comme des longues conversations, des mains folles et des projets. Que nous étions jeunes et romanesques en notre temps ! Les siennes étaient sages, de jambes. Je me souviens, elle les recouvrait de sable, elle les disaient laides en plaisantant, mais elle le faisait, peut-être le plaisir du contact. N’empêche… merci à ce gentil profil qui m’a rendu fraîcheur du sang, désir de mer, insouciance pleine de gravité, et même rumination grandiloquente. C’est cette matinée qui s’étire aussi, et puis… Pour un peu je me mettais à compter des syllabes. Mon pauvre vieux. Voilà la camionnette du marchand de légumes qui se gare devant ma vitrine. Je fais une grimace. Il rit, redémarre, avance de près d’un mètre, je lui souris. « Désir de mer », « jambes poissées par les épines de pin », curieux tout de même que ce soit cela qu’ait fait surgir ce profil… et pas nos visages navrés, les phrases murmurées, l’aide discrète proposée, en marge de la famille… notre dernière rencontre, nous trois, à l’enterrement de Jacques. Téléphoner à Chantal…
Elle fouille d’une main son sac pour trouver son téléphone
- Allo ! Quoi ? Mais bien entendu que j’y pense, vous êtes idiots ou quoi ? Suis en voiture, là, pour prendre les niots, leur père ne peut pas…
- ….
- Ah c’est Maman… elle a pensé à la gare au moins ?
- ….
- Tu as vu Julie ? Tu l’as trouvée comment ?
- …..
- de profil… mais c’est bavard un profil, ! Surtout avec toi ; tu es capable de lui faire dire ce qu’il ne sait pas et n’est pas… pardon, je raccroche.
Virage brusque en jetant un coup d’oeil derrière elle. Elle a failli manquer la rue… une sale petite inquiétude qu’elle veut ignorer.
- Codicille : petite tête avait sélectionné « désir de mer » et « jambes poissées par les épines de pin »… a trouvé qu’elles allaient bien à un bonhomme peu dessiné qui était arrivé vers la fin du #L3, sage et conventionnel, ce qui n’est jamais qu’une surface, alors, sans creuser, juste sous la surface, lui donner un peu de rêvasserie (on s’ennuie dans une boutique – de quoi en fait ? Il pourrait être, pourquoi pas un galeriste… ou un libraire galeriste – un matin de semaine dans le trou de l’année)… mais petite tête se rend compte qu’en fait d’expansion c’est prolongement… Quoique, pourquoi au fond l’expansion devrait-elle se produire au cœur du texte ? Tout de même, je rajoute quelques lignes au #L3
image © ßrigitte Célérier plage de Saint Mandrier
Un désir de mer partagé. Merci.
merci
C’est bavard un profil…beau
merci (mais suis vraiment pas bien dans les #L)
c’est ce « misérable » qui ne (me) va pas – sans plaisanter – je croyais qu’il s’agissait d’un boucher ou quelque chose – mais peut-être pour un libraire/galeriste… (non, mais on ne téléphone pas en conduisant…!)
je ne le crois pas misérable… il se voit ainsi, (un
peu en espérant que c’est faux) – et un boucher a moins de temps libre un matin de semaine … ah non misérable je me suis relue c’est le retour en arrière (disons que ça doit être une tentative d’auto-défense contre nostalgie)
et on ne doit pas téléphoner en conduisant c’est vrai, mais il y en a toujours pour le faire
oui c’est ça le « misérable » oui, exactement (je pensais à celui de la rue Daguerre dans le « Daguerréotypes » de madame Varda)
🙂
« Petite tête » a eu raison de croiser « désir de mer » et « jambes poissées par les épines de pin » ; il en sort un texte très sensible.
Ma peau a le goût de sel (bientôt, espérons), merci Brigitte !
merci Alice – crois que vais aller sentir le sel mais juste pour accompagner une morte (enfin ce sera près de la mer 🙂 – là je rentre du théâtre