Une maison basse, l’entrée étroite dans la cuisine avec le grand fourneau qui cuisinait, chauffait l’eau pour la toilette et rayonnait dans la pièce. Plus loin les chambres, d’un côté les parents, de l’autre côté la chambre dortoir où les enfants dormaient ensemble, entassés pour les vacances. Par la fenêtre, on voyait la route où le car soulevait la poussière deux fois par jour. A la porte, vue sur la cour, sur les cochons qui couraient dans un enclos, sur le gros tas de fumier au milieu, sur la cabane qui abritait le petit coin précurseur des toilettes sèches écolo, entouré d’orties. De l’autre côté, l’étable, avec quelques vaches pour le lait et deux bœufs qui tiraient la charrette sur les chemins et la charrue dans les champs. Odeur d’étable, odeur de fumier. Puis la grange pleine de bottes de paille entassées, odeur de grains et de poussière. Une mare de paille où les enfants alignés sur les poutres en bois près du toit plongeaient en riant, s’égratignant à l’arrivée.
Le souvenir est vif, jusqu’aux odeurs acres et poussiéreuses. Mais devant moi, il y a surtout le paysage. Un pré vert couvert d’une herbe grasse, un verger avec les vieux arbres. Le poirier dont les petits fruits jaunes tombaient bien trop tôt par terre, vite talés, immangeables. Les pommiers, cerisiers, pruniers qui invitaient les gamins à grimper, toujours plus haut, au prix de culottes déchirées et d’engueulades mémorables. Le potager qui accueillait parmi les légumes des delphiniums et des pivoines. Le goût des carottes tirées du sol, pleines de terre, qu’on rinçait sous l’eau d’une vieille fontaine au bras grinçant. Pieds nus dans la rosée du matin, griffures du chaume pendant les moissons, grondement de l’orage dans la plaine, odeur de la pluie sur la poussière de la route. Premiers baisers au goût de l’herbe fraîchement coupée. Le goûter sur les champs, pain de campagne et jambon gras fumé, relayé le vendredi par du fromage blanc aromatisé aux herbes, ciboulette et sauge dont le goût persiste encore aujourd’hui sur mes papilles. Les travaux des champs, odeurs enivrantes, d’herbe, de foin ou de blé. « Quand je serai grande, je serai fermière ». La vie au grand air, la nature tout juste maîtrisée, même le travail, pourtant difficile, m’enchantaient pendant mes vacances. L’intérieur de la maison n’est resté en fin de compte qu’un souvenir estompé à côté du dehors si important, si fascinant.
Une maison dans un quartier de petite ville sur la colline. Une terrasse en béton à la balustrade blanche. Un carré d’herbe. Une poussette sous un tilleul imposant. La porte d’entrée débouche directement sur un escalier raide partageant la maison en deux, cuisine contre pièce à vivre en bas, chambre parents contre chambre enfants à l’étage. Maison simple, éclairage sud et ouest, où les fleurs s’épanouissent. Mais mon souvenir, c’est la terrasse, la vue sur la ville, sur le mont en face où la nuit une croix sortie du néant illuminait le ciel. Flottant dans ce ciel comme un mirage.
Jolimont, domaine de vignerons posé sur une butte, entourée de vignes et de tournesols. Un grand cyprès en sentinelle. Une abbaye pour voisine. Des cigales chantent dans les pins. La terre est rouge, couverte de thym et de lavande. Dans la maison, une cuisine vers le nord, aux pavés rouges, spacieuse. Un long couloir éclairé par une fenêtre vers l’ouest, lumière du soir qui teinte les carreaux rouges du sol de douceur et joue de ses reflets dans un bouquet de graminées posé sous l’embrasure. Du côté sud, un séjour, deux chambres. Des fenêtres hautes à petits carreaux, ouvertes, il fait beau. Et je ne me lasse pas de la vue sur l’étang, sur les parcs à huîtres, sur le Mont St Clair et sur la mer. La maison me plaît, mais c’est sa situation qui est ma raison d’être ici. Le paysage m’émeut, me renverse. Me fascine. Me possède. J’habite la maison pour les environs qu’elle m’accorde. Pour les ceps tordus, pour les vignerons créatifs, pour les pins, les oliviers, les cyprès. Pour les caves, les dégustations, la culture du vin. Pour les odeurs. Pour les saveurs. Et pour la musique des cigales.