La lente dérive des îles sœurs, séparées par l’effondrement de l’écorce terrestre.
Si elle était arrivée en bateau, elle aurait senti l’odeur de feu, d’immortelles, elle aurait vu l’ombre nette des palmiers sur la place Saint Nicolas, l’éclat du levant.
Il a réservé un logement dans la vieille ville, idéalement placé entre la citadelle et la place Saint-Nicolas où il apprécie boire un café le matin. Il emprunte quotidiennement les mêmes rues, il les photographie, attiré par l’effritement d’un mur, la vibration d’une couleur, une accumulation de câbles incohérente, une cage d’escalier qui souffle au dehors un parfum de cave. Au bout de l’ancienne rue Droite il découvre un palais qui semble abandonné, murs en lambeaux, pierres à nu grignotées de mousses et buissons sauvages, persiennes fracassées en fragments de bois vert fané qui pendent dans le vide. À droite de la demeure une volée de marches mène au jardin fermé par une petite grille de fer, il aperçoit un désordre de buissons, de ronces, d’eucalyptus et palmiers alanguis. Il murmure son prénom à l’entrée du jardin, comme pour lui dire qu’il était prêt désormais, qu’il avait sans doute trop attendu, mais que le temps pouvait se replier, et dans la pénombre du crépuscule il sentit renaître un grand espoir. ***
La famille descend lentement les marches de la passerelle, devant les aînés se tiennent mignonnement la main, le père porte la petite presque assoupie, la mère prend de grandes bouffées d’air chaud, moite, rassurant. Après avoir récupéré leurs bagages ils se dirigent vers le hangar de l’aéroport où dort la vieille Ariane blanche, ils ont jeté les valises dans le coffre, pris la route vers le sud, les vitres ouvertes au vent brassent la fumée des cigarettes blondes.
Il est mort en nettoyant son fusil de chasse, mais qui a jamais cru à cette version de l’histoire ? Elle tient bon jusqu’au pont qui enjambe le Golo à Barchetta, puis c’est la montée du Castellare, le début du calvaire, la route étroite à travers le haut maquis, le vide, le vertige, le bourdonnement dans les oreilles, les virages enchaînés, il y en a deux terribles en épingle à cheveux qui donnent des sueurs froides — serre les dents, ferme les yeux, chante dans sa tête — enfin les châtaigniers, enfin la fontaine, elle peut descendre de l’auto, jambes molles, nausée, elle avale de grandes bouffées d’air, jusqu’à s’étourdir légèrement.
À la nuit tombée un lever de pleine lune sur la mer, lune de sang.
Depuis cinq ans la route du cap effondrée en plusieurs endroits, au sud de Pietracorbara, un tiers de l’enrobé affaissé. Cet hiver encore la route de Canari a été coupée, les automobilistes sont appelés à grande prudence. Des étais ont été posés dans les deux chambres de l’aile nord, qu’il faudra vérifier. Durant le dernier hiver la maison a bougé, le sol à l’entrée du salon s’est légèrement soulevé qui empêche d’ouvrir le battant gauche de la porte fenêtre.
Dans l’armoire du cabinet de toilette de la chambre du bas toutes sortes de boîtes, en bois, en métal imprimé, recouvertes de tissu fleuri. La plus petite, en carton fragile, qui contenait à l’origine un poudrier, porte une mention manuscrite : J-M, premiers cheveux.
Il traverse le Puntettu en lente métamorphose, des immeubles démolis, des immeubles ravalés, les places vieilles recouvertes de pierres de Brando, derrière les grilles de chantier un belvédère en projet, la ville change. Il passe ses journées sur la promenade aménagée au pied de la citadelle qui rejoint la sortie du tunnel, il regarde la mer, le va et vient des ferries, les iles d’Elbe et Capraia à l’horizon quand elles émergent de la brume.
*** A casa Caraffa, pour la première fois abordé dans le cadre de l’atelier Outils du roman
que de boîtes à ouvrir pour laisser échapper quelques secrets
J’espère qu’elles vont s’ouvrir !
Les couleurs les odeurs la dureté du bout du bout. Ça donne envie de s’y perdre. Trois mois dans le cap, va pas falloir lâcher !
Pas l’intention de lâcher, merci Rémi !
trop bien
ah merci, vraiment vertigineux de faire surgir des figures, des thèmes sans savoir où aller
j’aime ton texte. pas le souvenir de l’avoir déjà lu.
Merci Danièle, j’ai travaillé quand même, juste repris un petit morceau autour du vieux palais 😉
ai envie de les suivre tous (enfin avec plus de difficulté ou de loin celle qui va jusqu’à la montée de Castellare… en fait j’envie surtout celui qui a trouvé ce logement au début – je déguste les odeurs les histoires l’ambiance
heureusement la route a été refaite depuis, la montée est moins périlleuse, et puis surtout je suis passée du siège arrière au siège avant, même si à la place du mort, c’est beaucoup plus supportable
tu mettras un lien vers le texte source « outils du roman » ?
fait, et en y jetant un œil prendre conscience de toutes les richesses de cet atelier, merci !