Il ne sait pas. Le nom de la place, qui l’a construite et en quelle année. Il ne sait pas le nom de chaque personne qui l’a traversé, qui la traverse là en ce moment même. Il peut se concentrer mais il ne sait pas. Il ne sait pas que la femme assise à la table regarde son café en se disant qu’elle aurait préféré manger, mais manger sans regretter, que si elle mange elle mangera beaucoup, d’une traite d’un coup et qu’elle rentrera en regrettant. Que le serveur n’a pas dormi. Hier, ni avant-hier, ni la semaine d’avant, que la nuit il s’agite en cherchant dans les tiroirs sa boite de médicament, qu’hier se faisant il s’est tapé le pied, qu’il a gueulé mais que personne ne l’entend. Que le chien qui attend sagement au pied de la vieille dame est sourd depuis cent ans et qu’il en est bien content, et, que la vieille dame continue de lui parler tout le temps. Qu’à côté du café il y a un restaurant dont la devanture fermée laisse deviner que le patron a eu quelques emmerdements. Qu’un jeune mec débarqué récemment dont la mère était serveuse et le père inexistant a commencé à mettre le feu à une poubelle quand il avait cinq ans. Que ce quartier calme connait parfois les dimanches une petite agitation quand la place se couvre de blanc : la fête du vélo, le marché bio et italien, le village de noël, la fête foraine, les vides greniers, le cirque d’hiver, la grande braderie. Qu’en face de lui les mecs qui le toisent en biais viennent d’arriver. Dans leurs pas il y a de la neige de là-bas, mais leurs yeux eux sont resté au pays, il y faisait chaud et ils partaient encore pour ici. Qu’il y a un mois, à l’endroit exact où il se tient, assis sur la marche en pierre grise, une adolescente a pleuré contre un grand mec mal embouché qui venait juste de la quitter. Que sous ses pieds il y a plusieurs kilomètres carrés de béton, mais aussi plus loin de la terre et des choses dedans qui ne trouvent plus comment sortir à la lumière. Qu’un mec vient tous les matins à cinq heure faire plusieurs fois le tour de la place en courant avant de repartir lentement en sachant que le café coule quelque part derrière une des façades plus loin et que quelqu’un l’attends.
J’ai apprécie la forme d’écriture de ce texte
aurai aimé qu’il dure… dure… pour en savoir encore plus