La fenêtre est là immobile devant eux la même fenêtre pour les deux pour une fois qu’ils ont quelque chose en commun la fenêtre ne bouge pas mais tout bouge devant la fenêtre le monde change et bouge devant cette immobilité et la fenêtre se déploie sur le monde qui n’arrête pas de bouger et de changer la fenêtre est grande ouverte elle n’a pas des volets ni de persienne elle donne directement sur la ligne noire en bitume puis la ligne s’élargit en se doublant et des taches blanches en formes de rectangle marquent le milieu du bitume et une ligne continue se dessine à droite comme à gauche la fenêtre continue d’être là grande ouverte entre les rectangles et la ligne en continu et ils sont là derrière la fenêtre immobiles assis en parallèle en regardant fixement vers l’extérieur ils ne se regardent pas ils n’échangent pas presque rien elle ne répond pas à ses sollicitations sur les noms de villes de l’extérieur qu’elle entend comme une forme d’excuse s’excuser avec les noms de ville qui apparaissent sur le panneaux voilà une ouverture vers d’autres possibles mais elle entend cette invitation comme une manière de faire mine de rien comme si rien ne s’était passé après l’énième engueulade du départ avec lui qui crée un tremblement de terre pour un rien et elle qui essaie de marcher malgré les secousses à la recherche des solutions comme pour calmer la terre avec ses pas sur les plaques en mouvement à la recherche du bouton pour éteindre les sursauts mortels de la terre et maintenant après tous ces efforts elle est là comme la victime d’un tremblement de terre alors qu’il fait mine de rien et qu’ils sont ici assis silencieusement comme s’ils étaient au cinéma silencieusement les fauteuils toutes en parallèle et cette fenêtre écran géant devant eux et le monde qui se déploie comme un film à partir de la projection du pied de son pied à lui cette fois car toute cette mobilité naît d’un mouvement imperceptible du pied sur l’accélérateur conduire finalement ne demande pas beaucoup d’effort c’est juste une question de regard d’attention d’équilibre portés sur cette fenêtre qui est toujours là immobile il ne peut pas y soustraire son regard ses pensées se projettent sur les voies noires bitume alors qu’elle tourne sa tête à droite où il y a une autre fenêtre et elle regarde au delà des voies les zones industrielles les hangars en friches les hangars en ruines les hangars abandonnés les hangars rénovés puis les arbres s’inclinant sur la route sur l’autoroute sur l’A1 entre Naples et Rome l’amènent encore une fois ailleurs et là elle est dans son bureau qui n’est rien d’autre qu’un fauteuil dans sa chambre la fenêtre cette fois-ci est verticale cette fenêtre ne se déploie pas en horizontal à la différence des fenêtres des voitures c’est une fenêtre d’immeuble de ville et là elle soulève son regard de ses livres et elle s’aperçoit que dehors au delà des vitres il fait désormais sombre et qu’il pleut et elle reste là assise immobile affalée dans son fauteuil à la recherche des solutions pour sortir de cette maison et les livres lui donnent des idées mais elle n’est pas elle mais sa mère à elle qu’elle voit clairement l’ayant vue tellement de fois sur ce fauteuil pas loin de cette fenêtre et elle se sent comme assise sur ce même fauteuil à fleurs elle se sent à sa place dans cette même position à la recherche des solutions pour sortir de cette chambre pour arrêter ce tremblement de terre et là elle la voit allongée dans son lit en parallèle de cette autre fenêtre toute basse et horizontale avec la persienne ouverte et le grillage vert à l’extérieur et elle joue au jeu-vidéo de son i-pad celui où il faut faire fleurir des fleurs elle lit un peu puis elle parle au téléphone maintenant elle a un grand âge est-ce que tous ses efforts sont annulés par son âge et puis elle elle de la voiture voit son père dans le salon devant la même fenêtre basse ouverte avec les grilles vertes qui lit un grand livre et qui dort sur son livre et sur son travail l’âge n’a pas encore annulé tous ses efforts et puis elle le voit des années auparavant debout devant son bureau le téléphone gris à sa droite au dessus du radiateur et la grande porte-fenêtre qui donne sur le jardin avec les arbres qui s’inclinent devant lui tous les jours et il travaille là tous les jours il a trouvé des solutions lui et il a son bureau à lui et puis ils sont là tous les deux ses parents derrière la grande fenêtre horizontale qui donne sur l’autoroute et ils parlent ils parlent sans fin et elle est derrière assise sur le fauteuil des places arrières comme au deuxième rang d’un cinéma et elle est encore enfant et le monde elle le regarde plutôt par la fenêtre du côté droite ou gauche selon les voyages et elle voit les panneaux en biais elle ne lit pas trop les noms des villes des panneaux elle regarde plutôt les collines et les hangars sur lesquels elle projette ses pensées ou alors rien et le voyage est toujours le même celui sur l’A1 italienne de Naples à Florence de Florence à Naples mais l’autoroute a changé elle est plus large et le paysage aussi a changé il y a plus d’hangars maintenant il lui semble mais elle ne voit plus la grande cheminée de l’usine avec le feu allumé comme une immense allumette qui marquait l’arrivée à Naples maintenant que les usines sont devenues des hangars et qu’elle est devenue elle et qu’il et elle voyagent à leur tour en prolongeant l’autoroute et changeant de position à chaque fois maintenant que la cheminée de l’usine de pétrolochimie ne marque plus l’arrivée à Naples c’est elle qui conduit les fenêtres latérales sont ouvertes car la clim est cassée sa main est posée à l’extérieur tout défile à 130 km à l’heure le bruit est un bourdonnement insupportable dans la chaleur infinie de la mi-août d’une année de canicule et elle éprouve la sensation de voler maintenant elle a pu arrêter le tremblement de terre c’est un moment de trêve et on dirait que la terre lui appartient.
Super texte. J’aime beaucoup les changements de fenêtres, les croisées temporelles, la superposition des points de vue, la tension entre le mouvement et l’immobilité, prise dans le passage du temps.
Merci pour ta lecture et ce retour … j’avais un peu peur que cela ne soit pas trop compréhensible pour le lecteur, cela me rassure… c’est beau de lancer ces textes en orbite, comme des bouteilles dans l’espace et puis d’avoir des réponses!
la première comme le vide devant la scène de théâtre où se déchirer et puis arriver à introduire l’ailleurs jusqu’à ce presque retour avec l’autoroute mais la sensation de voler
La scène de théâtre ! et se déchirer! pas mal!!! merci pour ton retour
Merci pour ce texte ! J’aime tout particulièrement les répétitions de mots qui tissent le texte ainsi que ces fenêtres en voiture et ce qu’elles recèlent d’histoires, de tensions, de bouts de vie d’une époque à l’autre. Et puis cette idée de trouver des « solutions »…
Merci Emilie
pour ta lecture et pour les solutions, oui, les solutions!!