Quel âge avait-il à notre première rencontre ? Ìl était vieux déjà, courbé déjà vers ce point au levant du soleil au début de mars. Autour de lui alors, tout n’était qu’effondrement, ronces, ornières humides, murs délabrés. Le vieux figuier derrière lequel il se tenait depuis toujours était en fin de vie : les deux chevaux de selle qui vivaient là lui avaient arraché toute son écorce. Vingt-six ans ont passé. Les murs, pierre à pierre, ont été remontés. Les ronces ne sont plus. Les eaux ont été canalisées. Les canalisations enterrées. Le sol, aplanie, nivelé, est praticable. Des herbes y poussent. L’aire peut même, si besoin, servir de parking : trois, voire quatre voitures peuvent y trouver place. Lui est toujours là, toujours courbé vers le levant, toujours victime du vent d’ouest qui le violente, toujours avec insistance dans ce cap du nord de l’île. Toujours là, résistant, présent, force verticale dont la beauté minimale et abrupte me pénètre, me transforme et m’emporte. Il est bien tôt et je suis l’arbre. Celui- là même dont le drôle de nom, souvent ignoré, interroge souvent. Celui- là même que l’on dit venu de Chine, du Japon ou des Indes, introduit en Syrie et en Andalousie par les agronomes arabes, en Floride par les Espagnols. Il est bien tôt et je suis toi : ranj, arunji bigerica, Citrus aurantium, l’oranger amer, l’oranger de Séville, arunji bigarrat, le bigaradier. Il est bien tôt, tu es plus que centenaire et tu me donnes encore le parfum de la blancheur de tes fleurs, la permanence de tes feuilles, l’or et la force de tes fruits. Et la force d’aimer encore.
Découverte du bigaradier l’arbre à fruits doux amères, vigie malgré lui, autour duquel se métamorphose un jardin. Merci Ugo.
longue vie au bigaradier et à Ugo !
vais les aimer encore davantage les bigaradiers !