La chambre est carrée, moquette rase beige, papier peint sur le mur, où s’accroche une fenêtre rectangulaire : quatre carreaux de verre, un cadre de bois blanc, et des rideaux bruns, épais. Le lit est à gauche en entrant, quatre pieds de fer, une couverture de laine, verte, un drap impeccablement tiré, dont on n’aperçoit qu’une bande blanche sous deux oreillers blancs, immaculés, comme souvent dans les hôtels. Il est à la fenêtre. Il regarde dehors, épaules et dos carrés dans le cadre de la fenêtre, les jambes écartées légèrement dans le jean propre et usé, toujours le jean. La chemise est blanche sur le dos carré, c’était déjà ce dos quand il avait quinze ans. Il regarde dehors, au loin la mer, la houle légère, l’eau grise sous le ciel gris, dans l’atmosphère bleutée d’après-midi. La jambe gauche tremble imperceptiblement, et peut-être la main aussi qu’on ne voit pas, plaquée contre la fenêtre, au creux du ventre. Dans le ventre, il est possible que la respiration soit plus forte qu’à l’accoutumée, que la peau tressaille, que les tempes bourdonnent, devenues grises légèrement, ce que je verrai peut-être quand il tournera la tête, les stries au coin des yeux verts, les paupières alourdies, les joues creusées peut-être légèrement, les marques du temps. Je ne vois que la nuque large sous la masse de cheveux restés bruns, les épaules carrées, le dos droit, et la jambe plus bas qui tremble par intermittence, qui frémit, nerveusement. Je suis sur le pas de la porte. Je dis bonjour. Il se retourne. Bonjour. Je lui demande s’il a fait bon voyage. Il dit que la route est belle, qu’il a trouvé facilement : Hôtel des sables, chambre 113. Je n’ose pas bouger, avancer, montrer ce que je suis devenue. Il fait sombre, je le vois mal à cause de la pénombre, le contrejour – et j’ai les pieds plombés, il est collé à la fenêtre, pas un pour faire un pas, nous sommes dans de beaux draps, pas sortis de l’auberge, à y passer la nuit, tout près des larmes, si bien qu’on ne sait plus si l’on doit rire ou pleurer de ne pas approcher. Je demande ce qu’il y a par la fenêtre. Il énumère : une cabane en bois, une balançoire, des serviettes sur la plage, des femmes avec des sacs, des enfants qui courent, un chien, la mer, et des mouettes. Hochement de tête. Esquisse. Un temps. J’avance lentement. Il me fait une place. Nous regardons au dehors, mutiques de nouveau, immuables, silence épouvantable. Ma bouche est sèche, empêchée, prise de panique. Je dis que je ne sais pas quoi dire. Il répond que ça va venir. Je dis que je ne sais pas si j’ai bien fait. Il répond qu’il faut que ça m’amuse. Que ça m’amuse? De le revoir. Qu’on se revoie. Que ça m’amuse? Je ris nerveusement. Ça ne m’amuse pas du tout. Les traits se figent vers l’horizon. Nous attendons. Je me dis qu’il n’y aura rien d’autre, du vent, des inepties, mots usés, corps vieillis – j’ai raté mon entrée, figée là comme un pot, engoncée dans des vêtements que j’aurais dû enlever déjà, jambes nouées quand je devrais danser la gigue de le revoir, me jeter dans ses bras, coeur battant, l’embrasser jusqu’au dernier souffle, et sauter sur le lit, de joie, de l’avoir retrouvé. Mais je fixe la vague, une armée dans ma tête attache ma langue au palais, abêtit mes pensées, je fais machine arrière, on ne rejoue pas le passé (où est la porte, que je sorte), quand il tourne la tête et tente un vain sourire qui découvre ses dents, ses dents que j’aimais tant, ces deux-là de devant qui ne se touchent pas, se laissent de la place, il découvre ses dents auxquelles mes yeux s’accrochent comme à une bouée, et du fond du silence écrasant, il articule trois mots, trois mots pour nous sauver – il dit qu’il est content.
Parfait rien à ajouter j’ai dégusté. Quelle reussite pour décrire ce malaise, une envie effondrée et l’envie de faire demi-tour et l’instant où ils sont sur le fil si bien rendu et c’est risqué… Merci
Le fil, oui… comme vous dites ! Merci !
oui, bravo… et que dire ?
moi je vous dis merci en tout cas 🙂