Il arrive, c’est le matin, la brume a recouvert la Baie, les oiseaux marins hurlent autour du ferry depuis qu’il a franchi la digue du port, la fraîcheur le surprend, il enfile sa veste et regarde la Skyline de K., sa géométrie argentée, fabuleuse, il ferme à demi les yeux comme pour imprimer cette vision en lui ou bien parce que la luminosité est vive malgré les nuages qui descendent sur la Baie. Il cherche ses lunettes de soleil tandis que la sirène du bateau meugle longuement et du sac de voyage ouvert sort aussi son passeport pour le glisser dans la poche intérieure de sa veste. Il est impatient. Des relents de gasoil se mêlent à l’air marin, ce serait presque agréable cette odeur sale des ports engorgés, cette odeur de départ ou d’arrivée. Il se demande pourquoi tant d’impatience. Le ferry va accoster, sourdes vibrations. Dans la file des voyageurs qui attendent pour descendre sur la passerelle, il retrouve le couple d’anglais avec qui il a dîné avant-hier soir et peut-être trop bu, elle architecte, lui il se souvient pas, ils échangent quelques mots, des mots polis de personnes qui ne se reverront pas, du moins intentionnellement, il a sans doute trop bu à ce dîner ou alors c’est leur conversation, il y a eu un moment particulier dans cette conversation, quelque chose d’inattendu, il se souvient maintenant qu’elle exprimait quelque chose qu’il ressent profondément, sur lequel ses mots à lui étaient trop flous, la sensation fugace mais puissante qu’il a de la ville, il se souvient combien ça l’a intrigué qu’elle puisse dire les mots qui exprimaient précisément ce qu’il ressent, combien ça l’a touché aussi, ils ont été surpris tous deux et peut-être l’homme n’a pas aimé ce moment de trouble partagé, sans doute amplifié par la boisson et maintenant il leur dit au revoir en sachant qu’ils ne les reverra pas. Il descend derrière eux sur le quai. Deux files conduisent au poste des douanes. À son tour, il tend son passeport avec le formulaire d’entrée sur le territoire où il a coché la case Tourisme. Raison du séjour ? insiste l’officier après avoir lu le formulaire, peut-être au cas où il aurait des remords et serait tenté d’avouer un trafic d’armes, un transfert d’argent blanchi, ou le projet de séquestration d’un membre du… Voyage d’agrément, répond-il en anglais mais sans ironie trop visible car les officiers de sécurité de K. ne sont pas recrutés pour leur sens de l’humour, en tout cas pas celui-là qui le scrute de son regard fixe comme si un détecteur de mensonges était greffé à ses pupilles, puis examine attentivement son passeport avant de le scruter encore en demandant Durée du séjour ? Au fond, il ne sait pas, pas encore, combien de temps il devra rester, pourtant il faut répondre, c’est obligatoire, c’est pourquoi il a écrit trois semaines sur le formulaire, ça devrait être suffisant et même lui laisser un peu de marge, de toute façon c’est la limite autorisée sans visa spécial, alors il répète trois semaines à l’officier qui veut s’assurer de sa réponse. Après trois semaines il sera toujours possible de renouveler la durée initiale ou demander un visa plus long au consulat. L’examen rétinien doit sembler probant à l’officier de la police des frontières car il appose un tampon sur une des pages réservées à cet effet avant de lui rendre son passeport.
Envie d’en savoir davantage… La lecture se fait aisément, les images naissent naturellement . J’aime votre style.
Merci beaucoup Claudine pour votre message qui me fait vraiment plaisir. Je vais aller lire vos écrits. Belle journée
Ce K. est très énigmatique, je pense à Kafka, au K de la nouvelle fantastique de Dino Buzzati où un jeune homme est poursuivi par une créature marine, notamment du fait de cette ambiance maritime que vous avez su installer. Oui, on a envie de poursuivre la lecture…
Oui K. fait inévitablement penser à Kafka même si ce n’est pas l’intention, j’aime qu’il m’accompagne souterrainement dans l’univers que j’écris. De fait, dans mon recit, K. est une instance fictionelle de Kowloon à Hong Kong. Merci de votre passage
On est ferré à l’hameçon et on a envie de connaître la suite…
Merci de votre lecture. Maintenant il faut se mettre en route pour la suite
Tout à fait d’accord avec Solange ! On lit d’un souffle et on veut vite la suite. Beaucoup aimé la description des compagnons d’un soir.
Merci beaucoup Helena, je suis heureuse que cette arrivée vous plaise. J’ai beaucoup aimé aussi la course effrénée de votre personnage… À suivre !
Rétroliens : #L3 | Sur le port – Tiers Livre, explorations écriture