1. Quelqu’un cherche. Quelqu’un
cherche après. Après Titine. Pas seulement.
Après. Une sorte d’avis placardé
sur troncs et palissades, comme hier en forêt la photo sous plastique – au moins vingt
exemplaires photo d’un lévrier perdu, enfui, disparu sous couvert des bois. Quelqu’un mais qui. Qui
cherche quelqu’un d’autre. Qui revient au même. Une recherche dérisoire, à
cause du diminutif qui. A mangé la moitié d’un prénom. Quelqu’un a disparu. Pas
seulement lui. Reste Tine qui a disparu
même si elle s’est glissée dans la deuxième syllabe du prénom. La première,
tombée dans les oubliettes : ce qui reste. Sa maison, avec quelqu’un
d’autre dedans. Diminutif. Et dans la tête l’ombre d’une voix, un peu grave,
écorchée par les cigarettes ou par tout le silence avalé quand il ne fallait
pas parler l‘autre langue. Quelqu’un cherche à ne pas oublier. Quelqu’un ne
trouve pas. Dans la chanson du
rossignol : il faut savoir se taire et surtout oublier. Mais ce n’est pas du
tout là qu’il faut chercher. Elle ne savait pas qu’elle avait déjà commencé à
se perdre. Quelqu’un cherche pourquoi
elle revenait toujours par les mots au même endroit, là où ses amis l’emmenaient,
quand elle avait perdu son mari et pas encore la tête. Tine voisine, étoilement
solaire autour des yeux. Tannée par la mer et la vie. Traversant la rue tous les jours pour
récupérer le journal local déjà lu par sa fille. Survolant les nouvelles en les
arrimant de moins en moins. Quelqu’un cherche pourquoi quelqu’un d ‘autre,
comme elle, a cessé de jeter l’ancre.
2. Partir d’un carré de terre. Le découper dans le temps avec beaucoup de précision. Ce qu’il y a dedans : les pommes de terre verdies qu’on a le droit de glaner, une fois fini le ramassage. Racines du mouron, insectes inconnus, mots. Et surtout la terre elle-même. Matière noire. Qui salit les mains. Qui se fendille dans la sécheresse. Qui pourrait raconter tout ce qui l’a ensemencée. Tous les corps, toutes les graines. Un trou noir. Dans l’infini, les pieds sur terre. Reprendre le même carré, bien après. Ce qu’il est devenu. Des piquets dedans, un chantier qui mange la terre. Et encore plus tard : plus de terre à voir mais cube avec toit posé sur le carré de terre. Dans le cube, une famille qui mange des pommes de terre mais pas seulement. Pré carré. Bribe apparemment banale : Tine trouvait que les patates de l’île étaient bien meilleures : on allait les chercher sur place. Quoi d’autre ? Lui dont elle ne parle pas. On ne va pas lui tirer les vers du nez ni l’enterrer trop vite. Dire le carré de terre dont elle a parlé un jour de pluie. Il n’y avait qu’une rue à traverser pour rejoindre le rêve d’ailleurs et la mer. Si on ne parle plus d’elle, de sa terre et de la petite voiture noire qu’elle conduisait âgée, peut-être pour le retrouver, alors elle cessera de vivre. Partir du carré de terre pour parler d’elle, de lui, au-delà.
3. Ni une cavale, ni une échappée. Une fugue. Parce qu’elle fuit tout le temps. Pour échapper à quoi exactement ? On ne sait pas. On dirait qu’elle fait exprès de semer des traces, apparemment illisibles. C’est fatigant, énervant, pourtant il y a un rendez-vous à ne pas manquer dans l’histoire plutôt qu’avec l’histoire. Mais cette histoire-là n’a pas du tout la forme attendue. Quelle forme d’ailleurs ? Elle cherche la fugue. Et encore : pas sûr. Le contrepoint qui déroute et en même temps donne sa couleur au monde flottant. C’est le rendez-vous, déjà écrit. Le faire savoir.
4. Il y aurait juste un air mais la chanson en filigrane. Des paroles un peu flottantes : je cherche après. Après tout, la chanson existe déjà mais pourquoi pas une variation après tout. Keep out. Mi fa mi ré -dièse mi fa mi. Versions. Sing ! Never mind the words. Elle lui souffle de loin à l’oreille ce qu’il doit absolument dire, mettre en voix, en scène. Sing ! Elle lui montre la voix, l’ouverture de la bouche, avec les gestes de celle qui rappelle la langue des signes. Elle ne se voit pas : sur les côtés, donne physiquement les indications. On y va, c’est le moment: lui, mains devant soi, comme posées sur un écran qui a cessé de jouer son rôle. Traverse : ni mime, ni parodie, rien d’autre qu’une chanson dont ne se retient qu’à peine le refrain qui n’en n’est pas un. Je cherche après. Rires.
J’aime beaucoup vos perspectives, cette tension autour d’une recherche.
Oui c’est splendide. Tout dedans, qu’à ouvrir, se poser, les yeux ouverts, pas envie de partir. Pour aller où d’ailleurs. Ici l’aquarelle, le son qui flotte, l’eau, la terre et les visages.