Le neuvième de la bande. Son accident de voiture l’empêche d’arriver à l’heure pour la conférence attendue. Il vient d’arriver sur place et se donne une heure pour se poser. Pas tout de suite la foule, il s’assied au bord d’une des longues tables vides pour l’instant, prend soin de nettoyer un coin de table, y pose son cahier fermé. Il reste un long moment immobile, la tête dans les mains. Il lui faut longtemps pour écarter les mauvaises tournures de cette journée: Et encore le garagiste a été sympa. il a fait vite, c’est rageant quand même. j’espère qu’elle sera là, ce serait le comble! tellement content de ces stages sur trois ans, Il faut que je termine ce mémoire et j’aurais bien eu besoin de cette conférence de Paul Jorion « le capitalisme à l’agonie » et qu’est-ce qu’il a ajouté? la précarité et la pauvreté qui s’installe, Je sais qu’il est anthropologue, sociologue ancien trader, je suis son blog et c’est tout à fait dans le sens de ce séminaire fait au CREFAD, j’en vois la fin mais aussi au revoir tous les copains et copines, on vient de tous les endroits de France, ce sera difficile de se suivre. j’espère qu’elle aura pris des notes. Bon, stop, là, concentre toi un peu, Arrête de tout brasser, Je vais commencer par elle, comment on s’est connu, enfin connu c’est un grand mot mais ça a compté pour moi, on a beaucoup partagé sur pas mal de sujets. Allez, je me donne quarante minutes et après, j’irai la rejoindre.
Le jeune ado avec ses parents. Le jeune, il ne sait pas, il est là où on l’amène, toujours sage Il parle facilement avec tous les gens, d’une façon directe. Il s’invente un copain et parle souvent avec lui Il saisit des bribes de ce qu’il entend des adultes, « Moi aussi je suis mort mais pas tout de suite. Trop chaud l’herbe est sèche. Toujours j’attends. Il sait qu’il oublie, mais ce n’est pas grave. Non je ne comprends pas. Il répète souvent « Tout à l’heure » mais il est toujours dans le présent. Il n’écrira pas, non, mais c’est pas grave dit-il. Tout seul, il parle à son copain inventé. Le copain, c’est ce qu’il n’écrit pas. Parfois tout haut, on l’entend, mais d’autres fois intérieurement. Il a vu l’oiseau et pense instantanément à autre chose. Toujours un coup d’oeil à sa mère, elle est là, bon. Il reste immobile et rien ne lui échappe, il tourne la tête vers le mur dès que quelqu’un s’approche trop près. Il se balance d’avant en arrière quand il est troublé, il ne sait pas ce qui le touche, il le sent. L’attente ne lui est pas longue, il en a l’habitude : « Attends, là je ne peux pas, attend encore un peu, attend que j’ai fini. » il sait, il attend. Il n’écrira pas, mais son monde intérieur peut se deviner, il est comme un livre ouvert pour ses parents. Quand il part loin dans l’espace, la terre tourne il tourne avec, son balancement devient plus lent puis s’arrête, il est dans l’espace et l’instant après très vite, il sait qu’ils vont repartir à la maison. On attend le monsieur, après on part. Oui, j’attend.
Le vieil homme aux cheveux blancs. Il n’est pas trop concerné par le festival, mais il fait beau, il est content de voir des gens tranquilles, heureux. Sa fille affronte un divorce et il aime son gendre, il les accompagne. Il attend juste la conférence, ça au moins, ça lui plait. Il regarde autour de lui, cette femme a l’air perdu lui rappelle sa fille. Il est juste en transition et il lui tarde de rentrer chez lui, il a du travail. En attendant seize heure trente, il a besoin de calme et rentre à l’hôtel. Il ouvre sa valise sur roulettes, en sort un grand cahier et un stylo qu’il pose sur la tablette et reste debout, rêveur, il ôte sa casquette de tweed, se recoiffe avec les mains et reste debout devant la fenêtre, il ne regarde rien de précis, il est en lui-même, il réfléchit. Quand j’y pense il y a eu des erreurs dans notre façon de l’élever, nous qui croyions avoir tout réussi. Et c’est pourquoi ce divorce, tellement incongru. Je tourne ça en boucle depuis six mois, plus je vieillis et plus mes certitudes s’effondrent. Elle le prend bien son divorce ? Tu crois vraiment ce que tu dis ? Elle fait ce qu’il faut, comme toujours, mais intérieurement? Son sourire lui revient, mais ce n’est pas celui d’avant. Ils font bien du bruit à côté, je ne peux plus réfléchir, ni écrire dans le bruit, comme je vieillis! Il en faut si peux pour me déranger. En fait, on a été si sérieux, tellement pris par notre travail, on ne lui a pas laissé assez de légèreté, on a été sévère avec elle, exigeants. Quand je les vois faire avec leurs enfants, ils savent beaucoup plus leurs fonctionnements d’ados, ils parlent avec eux de tout. Mais ce n’est pas maintenant que je vais me décourager. Il va se servir un verre d’eau, rectifie en passant devant la glace ses cheveux, brosse un peu son costume, réalise qu’il n’est pas du tout habillé pour un jour d’été. Je ne suis pas trop en mesure d’écrire, ce divorce me déchire, et ce semblant de bureau si petit ne me met pas en condition, pages d’horaires multiples, numéros de téléphone à connaître, publicité pour L’Albenc sont dérangeantes. Reconnais que le soleil et l’ambiance t’ont fait du bien, tu t’es reposé au moins physiquement, écris comme tu le fais tous les jours, ce sera peut-être affligeant, mais ce sera, et ce qui est fait n’est plus à faire.
J’aime beaucoup cette proximité que tu instaures avec ces personnages. On a envie de les suivre;
Merci, Roselyne. J’aime beaucoup quand tu commentes. j’ai commencé mais pas encore fini de lire les tiens: tu viens d’envoyer la #L 8 ? et tu fais aussi La Fabrique et bien sûr les #P ? Je n’arrive pas à écrire la L#7, et n’ai pas écouté encore #P8 et #L8 je perds du terrain. (Je n’oserai pas commenter tes textes : a -t-on vu un élève commenté son prof ?. On va se revoir en septembre ?)
Quelle belle idée que tous écrivent ! Et aussi, ce qui justement n’est pas écrit par l’ado du milieu. Le vieil homme, quand il se dit Tu, on a l’impression que feu sa femme lui parle. Le premier m’est moins attachant, mais tous trois mériteraient d’être poussés, fatigués.
merci Emmanuelle. Poussés et fatigués ? Sûrement, mais là, c’est moi qui fatigue. Je n’arrive pas à écrire la #L7. et je n’ai pas écouté les deux de dimanche dernier, je cale. Mais bon! On y arrivera!
Quels possibles qui s ouvrent ainsi avec une telle fluidité dans ces voix des personnages…bravo Simone…on en redemande!!
Et bien, grand merci Marie-Caroline. Tu sais, ça fait beaucoup de bien, je suis au creux de la vague, là, impossible d’écrire la P7 ! et pas encore écouté les huit. Alors, merci beaucoup.
Surtout ne pas se mettre la pression Simone et ainsi on sort de la vague…j y suis passée et après op ça se débloque tout doucement …à ce soir en zoom