Sa voix est la pendule de son temps, de son emploi du temps. La hauteur de ses paupières est marquée par le timbre de sa voix. Le matin au coin d’une tasse fumante, la peinture de ses mots finit de s’écailler en gravité râpeuse, avant de filer avec l’eau de la douche, de se polir au fil des heures, de remonter parfois à la surface des graves mais sans jamais poser un pied dans les aigus, même dans la légèreté du rire ou au sommet des « é ». Le débit est tranquille et posé, avec ces mots qui hésitent, ces mots de silencieux qu’il faut aller chercher. La finale se prolonge en résonnant tout bas, en frisottant doucement pour souligner le son, comme l’extrémité d’un drapeau qui s’agite dans un souffle. Parfois on se demande si son « r » va rouler, dévaler la pente en riant, mais non, il s’arrête toujours là, juste en équilibre sur la pointe du sommet. Quand vient l’heure de midi, une fois les assiettes vides, sa voix s’alourdit, lestée par les saveurs, parfois jusqu’à la sieste. Mais le réveil du milieu est un réveil rapide. À cette heure-ci, pas question de sommeil, juste de somnolence, c’est toute la différence. Sa voix peut repartir sans devoir se changer, elle est tout de suite prête à laisser le pâteux pour reprendre le fluide. Le fluide, le cours des choses. Tout au long de la journée, les tonalités de sa voix se faufilent entre les sentiments. Lors des échanges sérieux, profonds ou délicats, les émotions la serrent, la ligotent et l’entrainent vers le fond, vers la gravité des entrailles. S’il prend les choses à cœur, c’est là-bas qu’elle résonne, au cœur. Gravité encore quand la fatigue vient s’en mêler, quand ses paupières s’alourdissent, sa voix suit le mouvement, se faisant plus épaisse, plus dense et imposante, sirop de repos pour soigner l’insomnie en rendant à la nuit son côté désirable, son « il était une fois… » des histoires que disaient les conteuses, le soir à la veillée… Le soir, sa voix ondule comme un tapis volant. Enfin, sa musique se tait pour laisser les aiguilles de son temps faire le tour à l’envers et revenir au matin. La nuit, sa voix va reposer tout au fond de lui, sous une chaude couverture de silence, elle gagnera encore en gravité, chaque nuit un peu, de cette gravité profonde qu’on affuble de sagesse quand elle ne dit chez lui que le lointain des rêves.
Codicille : J'ai une fois de plus un peu"triché", profité d'une proposition pour faire avancer autre chose. Cette voix n'en est pas une vraiment vraie, c'est un assemblage de vraies voix, pour créer celle que je vais attribuer à Gé dans le PDF en cours. Merci Emmanuelle pour cette proposition qui m'a bien fait comprendre l'importance de la voix, sa richesse, son potentiel et la méconnaissance de que j'en ai. Sur les conseils de Ryoko Sekiguchi ("La voix sombre", P.O.L.) et avec ton aide, je viens d'ouvrir une nouvelle porte, une porte sonore
Les jours et les nuits d’une voix. Journée d’un voix . Une vie de voix. Toutes les heures de sa voix.
Quelle idée ! Comme elle te porte ! Je vais à mon tout suivre cette trace que tu proposes, non pas l’instant t, mais la fluctuation, le mouvement perpétuel.
Un tout grand merci Juliette
Ouhla ! J’en rougis… D’autant plus que l’idée est issue d’une banale stratégie d’évitement : pas capable de goûter comme il se devrait une voix avec mes papilles auditives déficientes, il a bien fallu que je trouve une autre solution… Mais tant mieux si ça t’inspire : tout n’est pas perdu 😉