C’est un petit carnet. Des carnets, tu en as eu de toutes sortes : petits moyens grands, lignés, vierges, quadrillés, à spirales, à la reliure cousue, unis ou à motifs. De tous, celui-ci est le plus ancien que tu aies gardé. Petit calepin pèlerin du temps. Porteur de mémoire. Il ne paie pas de mine, il n’a l’air de rien ce petit carnet. C’est le plus banal de tous, acheté en supermarché. Un petit carnet 96 pages, petits carreaux, format 9 x 14, qualité papier 80g, fabriqué en France précise-t-on. Un petit carnet tout usé de couleur verte grattée par le temps, blanc ça et là de frottements de voyages de pérégrinations, avec de petites veines noires. Un petit carnet marbré. Et puis la reliure délitée à force d’années. Si bien que la première et la quatrième de couverture se sont détachées, tenues encore ensemble au milieu par un résidu cartonné, on ne sait comment, tant il s’effrite sous le doigt. Il faut le manipuler avec soin à pleines mains délicates pour le maintenir tout entier dans son intégrité de petit carnet. Fini le temps de l’insouciance où l’objet était glissé rapidement dans le sac à dos, à main, en tissu, cuir, toile, osier. L’objet devient relique. La tranche est légèrement brunie à la façon des livres lus relus, à force de visites assidues régulières de compulsion vitale. Sur la couverture, le concepteur du petit carnet a imaginé une main et son poignet à manche bouffante. On a l’impression qu’elle sort du carnet, qu’elle traverse la couverture en passe-muraille. Main fantôme qui tient une plume. C’est elle qui écrit « CARNET 96 pages ». Un petit carnet du fond des âges, promesse d’écriture. Et il tient cette promesse. A sa façon. C’est un petit carnet de notes augmentées au fil des années à la manière d’un journal. Dans le flot des carnets vierges ou à peine entamés, celui-ci est presque terminé. Il a tenu le cap du temps qui passe. Sept pages seulement de petits carreaux vides en son centre. Légèrement jaunies. Tout le reste est écrit. Soigneusement ou à la volée. Au crayon à papier, au bic bleu, vert, rouge, noir. A l’endroit, des listes de livres, titres glanés au gré des rencontres. A l’envers, à partir de la fin, des listes d’artistes vus en concerts. Avec des dates cette fois. Des titres de films. Des petites notes en vrac : noms de personnes, impressions sur le vif…Une adresse mail griffonnée au crayon à papier. Des citations. Ce petit carnet, c’est le signe matériel de ton élargissement. Et puis entre les pages, des bouts de papier viennent s’y glisser, arrachés à d’autres carnets, où d’autres écritures se mêlent à celle du petit carnet. Et le petit carnet se gonfle de vies. Un petit carnet gros de mots, de sons, de rencontres. Un petit carnet qui tient sa promesse de mémoire. Un petit carnet bruissant de voix. Et parmi elles, soudain, tu t’arrêtes, tu reconnais son écriture de disparue avec ce titre, parmi d’autres, écrit de sa main, qui te saisit toute entière, Véronika décide de mourir. Glissé dans le petit carnet, il y avait un cri. Tu refermes le petit carnet.
Petit carnet petit frère de mes agendas et un usage similaire du moins des similitudes. Et si le titre était la première phrase du texte ? « Porteur de mémoire » ou « pèlerin du temps » le titre ? (Pardon, la question du titre m’obsède depuis que j’ai visionné le dernier zoom et que la question du titre a été évoquée). Touchée par l’objet et par ce que l’écriture en fait. Merci Emilie d’avoir ouvert le petit carnet.
Merci Cécile de ton retour. Tu sais quoi…mon texte commençait à l’origine par le titre (j’ai finalement inversé les phrases 1 et 2) ! J’hésite encore…pour le coup…
J’ai aimé « Ce petit carnet, c’est le signe matériel de ton élargissement ».Belle trouvaille
Oh merci Bernadette ! Tu pointes là une phrase importante pour moi !!!!
Et si c’était le début d’une nouvelle ? Il y a tant d’éléments qui pourraient être développés. Et qui a écrit ce cri ? J’aurais envie de lire la suite. Merci pour ce carnet.
Merci Martine de ton retour ! Je ne le voyais pas si gros d’intrigue ce petit carnet ! Décidément. Il cache bien son jeu. J’aimerais tellement réussir à pousser le récit ! Je le garde sous le coude alors. Merci encore.