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Le pot-à-stylos a sa vie propre : il est changeant par essence, c’est un phare sur une table qui peut être selon les heures : triste, vivante, poussiéreuse ou morne. Il peut appeler des émotions tristes ou joyeuses. Le pot-à-stylos dénote l’activité de son propriétaire, il indique si celui-ci à de nombreuses activités, s’il est délaissé, il reçoit parfois des homologues stylos, qui prennent la place de ceux-ci. : limes à ongles, fume-cigarette de pacotille, pinceaux égarés, cherchant un abri dit provisoire. Le pot-à-stylos est hors du temps. Au fond, des trombones sont là pour rappeler son origine musicale et sa fonction de lien entre la table et le ciel, à mi chemin de la terre. Parfois, il a l’air de flotter. Parfois, il veut larguer les amarres, et prendre le large. Les gommes qui gisent au fond sont des récifs, sur lesquels viennent buter des crayons de papier à la dérive. Il peut être momentanément envahi par des hôtes peu discrets comme des Stabilo-boss. Le Stabilo-boss est la hantise du pot-à-stylos qui voit son espace mangé par ces compagnons fluorescents qui viennent briser le rythme et la connivence établie entre les autres stylos : le Bic, pas très chic, les stylos-plume en argent Waterman et leurs cartouches d’encre qui continuent de nous noircir les doigts comme avant, les crayons de couleurs évadés du pot-à-crayons-de-couleur -certaine fois, quelques stylos sans encre continuent de rester là sans qu’on puisse se résoudre à en jeter un. Ils sont là, témoin de ce qui a été écrit, de ce qui est en attente d’être écrit, ou écrit autrement depuis l’avènement du clavier de l’ordinateur. Souvent il est là comme un reproche, pour les choses qu’on écrira jamais. Si je pense à voir mon pot-à-stylos comme si c’était la première fois que je le découvre : chaque ligne a une histoire : Le crayon de couleur vert un peu en diagonale vers la droite, sans doute une réminiscence de dessins d’enfant, quand l’arbre penche un peu à cause du vent mais alors comment le prendre et dessiner un carré-rectangle vert…Le même Bic acheté plusieurs fois dans l’année pour écrire et qui va avec la sensation soyeuse de la main passée sur la page blanche comme une éclaircie, un moment de répit…une page sans l’ombre d’un mot…le pot revient et ramasse tout en une éphémère harmonie, perturbations tout de même de l’ordre établi, le pot gardien du chaos, du chaos créateur. Le pot-à-stylos se fait résonance, le pot-à-stylos devient le témoin d’un tableau de Cézanne, en parfait déséquilibre : les lignes verticales, les angles que chaque stylo, crayon forme avec un autre sont un monde, épaisseur du pot-matière – de la terre, ornée de miroirs, mosaïque de miroirs, reflets d’autres mondes dans ces miroirs, une vanité, objets laissés là ; aimés, oubliés, sages, dociles ou révoltés, plutôt couchés, ou vraiment verticaux, ensemençant l’air autour, donnant des directions ou au contraire, capitulant, axes annonçant des pôles, différents, courses reprises par l’un de ses congénères, légèrement déviés de leur trajectoire, jouant à se rééquilibrer malgré eux, parallèles, formant entre eux des angles, pot des vanités, de la joie, de la tristesse, pot-aux-roses, pot de signalisation, pot des marée, pot des songes, pot de l’oubli, pot de la mémoire que son contenant a tracé un soir d’hiver, de printemps ou d’été, pot-aux-stylos donnant comme une fenêtre sur une géographie particulière de l’intime, pot imitant la perspective, jouant aux architectes de l’indicible pour tracer des plans éternellement remis à plus tard. Pointes sèches, ou pointes acérées, le pot abrite quelques pastels secs, ou gras, fusains, poussière à venir, jamais fixée. C’est aussi l’auberge des compas – dont les courbes rejoignent les bords-frontières du pot – et équerres, règles embarrassantes pour le tracé. Le pot-à-stylos renferme les mondes à venir et plein de virtualités, de désaccords comme une musique, en contrepoint. Le pot pudiquement se dérobe à la prise, on ne change que rarement le pot-à-stylos de place, il s’affirme, dans l’espace clos d’une chambre, d’un bureau, d’une pièce à vivre voire d’une cuisine, pourquoi pas. On peut, en imagination, faire le tour du pot avec le doigt, flatter son égo, sa rotondité parfaite, image tronquée de la rotondité de la terre : quartier de terre ou de lune, anneau de Saturne en microsome sur la table. Dans le pot-à-stylos : plume qui s’envole, plume sergent-major vers les étoiles, sans autre boussole que le bon vouloir du mage.
Jamais de place dans mon pot à stylo ! Et quant aux stabilos jaunes flos, ils trainent à côté, ne peuvent absolument pas trouver de place. Le compas, je n’ose pas le mettre dedans, peur de me piquer les doigts. Merci pour ce texte et cet objet qui est infiniment précieux si on choisit le bon et le plus pratique ! Bien à vous.