Arrêtée à côté de la porte du salon que j’allais ouvrir, j’écoute un bruit de porte, une voix qui entre dans la pièce et je cherche à déterminer à laquelle de nous quatre, de notre équipe mère et filles que l’on confond souvent, elle appartient… une voix claire qui pourrait être de mezzo, une voix qui chante un peu, du moins en parlant – je ne comprends pas le sens des mots, je ne prête attention qu’à la souplesse de l’intonation, une phrase banale sans doute, un programme, une proposition dont des notes plus claires, douces mettent en valeur les avantages avec discrétion, sans accentuations trop évidentes, et je l’attribue mais sans certitude à notre mère, croyant y deviner son autorité tranquille. Sur la note finale, se précipite, rebondit, pressée, une seconde voix, attaquant sur une note haute, ajoutant au timbre maternel, si c’est bien celui de la première voix, une chaleur, une urgence, presque une stridence, mais pas tout à fait, et redescendant ensuite, revenant au mezzo, ajoutant du velours, une lenteur qui s’installe peu à peu pour faire ondoyer le plaidoyer, les arguments, installe des silences comme des sourires, et je sais que les yeux verts de ma cadette se font si lumineux que transparents, s’assortissent au petit chant charmeur qui va se dénaturer en roucoulement indigne d’elle quand la voix maternelle tranche, plus ferme que tout à l’heure, avec une infime note métallique, un phrasé uni, une trace, juste une trace, comme un rappel, de l’autorité. Intervient une troisième voix, celle de la plus jeune, la saveuse comme nous disons, la sage, version volontairement neutralisée de ce timbre que nous avons presque en commun, un médium neutre dont elle efface toute musique, un ton en dessous, pour marquer la réflexion, et lentement, en articulant, elle expose je ne sais quoi, ajoutant sur la fin quelques aigus qui affirment… La première voix, la maternelle, reprend, enroulée en sourire, calme et lumineuse, s’éloigne peu à peu, s’efface dans le bruit de la porte qui se referme. Je rentre, je demande ce qui se passe.
image © Brigitte Célérier – Grignan
vous aviez encore fait des bêtises, vous trois là…
moi je n’étais pas dans le coup (mais le fait est que mon père avait toujours des doutes quand il entendait à distance)
Tout en subtilités, en touches successives. Une écriture pointilliste, ça se dit ? Déclinaison colorée. Merci.
difficile de faire autrement 🙂
Bel entrelacement de voix modulées finement !
Merci, Brigitte.
a laquelle de nous quatre… possiblement tienne aussi. Cela dit quelque chose de votre lien et de ce qu’est la voix. Et comment tu réussis à faire voir des visages, des corps ainsi, sans les dire !
curieusement avec l’âge et ce que nous avons vécu chacune on ne nous confond plus
C’est on. ne peut plus normal : la voix aussi prend les marques de l’usage qu’on en (a) fait. Rides du sourire ou du lion, selon.
oui bien entendu