Une boîte de plastique transparent qui renferme un corps de plastique tout aussi transparent qui laisse voir le mécanisme (engrenage/dents/bande/petits coussins de feutre). Une cassette vierge. Des cassettes avec rien dessus. Je me souviens les avoir observés longtemps sans comprendre, à la sortie de l’enfance, j’y voyais un symbole concret de l’absence de sens, jusqu’à ce qu’on m’en offre une. Une cassette enregistrée, il avait raison Harpagon, ma cassette, mon trésor, celle que S. avait préparée pour moi, la bande-son de notre histoire d’amour. J’ai vu le jour où l’on pouvait acheter des rectangles manufacturés produits en séries vendus par lot et qui ne proposaient rien d’autre que la possibilité de devenir uniques par la seule volonté, pour ce qu’on voulait bien y mettre. J’ai compris la disposition primordiale de cet objet à accueillir ce que nous voulions bien y enregistrer, une voix sur un répondeur, un cours de chant, le passage en radio d’une chanson, la compilation de nos émotions. J’ai copié-lu-appris par cœur-répété-commencé à travailler, tout vient de là. J’ai dès lors collectionné des rectangles qui tournaient pour mes envies seules, qui roulaient pour moi, avec moi, calés dans l’autoradio sur la route des vacances et qui m’ont accompagnée chez moi, pas chez mes parents, chez moi. Je ne m’en séparais pas. Aujourd’hui encore, elles sont dans leurs boîtes dans une boîte, elles ont fait tous les déménagements, parce qu’elles me définissent en partie ; elles sont de ma génération, bien moins encombrantes que les galettes 33 et 45 de mes parents, elles sont les mémés des CD des enfants. Ces compos perso me sont bien plus précieuses que les photographies : avec elles me reviennent intactes les sensations de fantasmes connues de moi seule, avec elles je me refais du cinéma. Je les conserve aussi parce qu’elles ne sont pas la radio, frangine que j’ai installée dans mon premier appart. Je ne m’en sépare toujours pas, au point d’avoir redemandé un appareil à cassette pour mes 45 ans. Elles ne sont plus si nombreuses, bien sûr, se sont elles qui me quittent, quand elles sont trop fatiguées d’avoir tant tourné, quand j’abuse à ressasser un regret et que je me vautre les yeux fermés, les mains croisées sur la poitrine, allongée sur mon lit, la bande se dévide dans l’appareil, ou plus définitivement, se casse. La cassette vierge enregistrée, allégorie d’une vie.
Belles cassettes d’écriture !
Merci !
merci
Bel hommage à cet objet qui peut contenir des voix… et casser
merci
Moi aussi, j’ai conservé mes K7, comme des madeleines de Proust… J’aime bien cette idée que vous vous êtes appropriée cet objet en plastique – un de plus – si banal a priori de façon personnelle en y enregistrant des moments, des voix, bref en y apportant une touche d’humanité. Les objets ne sont-ils pas ce qu’on en fait ?
un truchement comme un autre, peut-être comme l’écriture aujourd’hui.
merci.