Tête et bec, le pied à coulisse a tout du héron. Il somnole dans son boîtier en hêtre, l’oeil horizontal mi-clos – à moins qu’il ne guigne la main prête à le saisir ? Saisissez-le : s’il ne se défend guère, ses arêtes métalliques ne portent pas à sourire ; l’acier froid, la lourde tête, l’oeil nictitant, tout vous parle d’un office sérieux : mesurer les sections du monde.
Une petite excroissance attire le pouce : c’est le poussoir du coulisseau, finement guilloché.
Que le coulisseau descende le long du cou, et le héron joue à la clé anglaise. Une facétie en passant. Mais point de pression : quand le coulissement prend fin, mesure est prise. Le bec tient la proie à la gorge, fermement mais sans excès. Sûre de son fait, la seconde vis guillochée fixe le bec inférieur : on peut jouer à la clé anglaise, mais sans lâcher la proie pour l’ombre.
Le suif qui graisse les becs garantit le silence des opérations : c’est bien le moins pour un échassier. Les vis chargées de réguler la course du bec mobile sont appelés lardons. Mais l’outil n’est pas de haute graisse : étique, il rappelle qu’il est là pour oeuvrer.
L’instrument a l’esprit géométrique : il est à vernier, comme l’on nomme ce dispositif d’une règle graduée mobile glissant sur une autre, immobile. C’est un pied qui redouble d’efforts pour ne jamais faillir à l’éthique qu’il s’est fixée : mesurer, coûte que coûte, jusqu’au 1/50e de millimètre. Le suif encore évite tout frottement trop rude à la réalité, si petite et si délicate à appréhender.
On recherche cet instrument pour ses talents d’informateur : précis, de l’aveu estampillé à froid des autorités, il dévoile à belles mains ce que notre œil imparfait ne peut voir.
Anguleux et finalement sympathique, cet échassier inoxydable n’a rien d’un butor : conscient du service qu’il rend, il retourne sagement dans son boîtier, l’oeil mi-clos : le monde est un peu plus mesuré.
Mesurer le monde ? Pourquoi pas ? Avec un échassier en inox dont l’oeil est mi-clos, l’idée est séduisante. Beau texte qui ouvre les portes de l’imaginaire.
Merci JLuc de ta lecture !
J’aime beaucoup ce texte sans demi-mesure !!
Merci pour cette belle expérience de lecture.
Merci beaucoup Fil ;o)
Souvenirs, souvenirs, pied à coulisse et règle à calcul ! il faudrait que je réapprenne pour m’en servir ! Heureusement tout est numérique maintenant, même les verniers. Merci pour ce rappel.
merci pour ta lecture Danièle ! J’ai replongé dans la nostalgie des divers torchons et serviettes, avec ou sans liseré…tu embellis les objets quotidiens.
toujours gardé non pas le mien de l’école d’ingé, mais celui de mon paternel
De fait, le pied à coulisse dont je parle est celui de mon père…héritage important.
Rudement savant… on saura tout, oui tout sur cet instrument de mesure que ma foi je n’ai jamais dû utiliser…
pas fait d’écoles techniques et pas trop de goût pour la mesure !!
merci Françoise ! une des difficultés était de ne pas faire cuistre…
Rudement étonnant et plaisant… me fait songer à l’animation des fétiches de Karaba (!…), et quelle clôture, digne d’un sonnet baroque !
Je note aussi l’expression douce qui plaît à l’oeil et à l’oreille « l’acier froid, la lourde tête, l’oeil nictitant, tout vous parle d’un office sérieux : mesurer les sections du monde. » Merci Bruno !!
Et presque cette dimension religieuse, on est plus dans le bricolage quand il sort de sa boite avec tout le cérémonial dû à ces objets de précision…
Merci Juliette …Oui, tu as raison, il y a de ça…