Il y a de la pierre dans le briquet . Il garde la mémoire du fusil où se cache l’étincelle qui fera jaillir le feu. De cette origine préhistorique il est auréolé d’un prestige qu’on pourrait dire prométhéen. Qui s’en souvient au moment d’allumer la flamme ? De quelles profondeurs de l’inconscient parvient elle jusqu’à nous ?Comme un mot ne saurait être sans la phrase que serait le briquet sans l’aliment qui le perpétue ? Petites brindilles mises en tas, huile inflammable, essence, gaz ? Car le propre de l’objet est de ne pouvoir être qu’un outil indispensable mais insuffisant. Ceux d’aujourd’hui combinent le dispositif qui assurera la mise à feu , dont l’objet tire son nom, et le combustible essentiel à son utilisation. De ce mot générique jaillissent toutes sortes de formes Et d’agencement qui traversent les âges. Que de chemin parcouru depuis le premier silex ! De la pierre il ne garde qu’une mémoire incertaine. On peine à retrouver la brique dans le briquet. C’est désormais dans les cristaux de quartz qu’il va chercher son impulsion. Il a cela de commun avec le sonar, la balance électrique, les haut-parleurs, les microphones, les pèse-personnes, et bien d’autres objets de la modernité qui nous entourent. Le mythe est devenu trivial, a perdu son aura, l’objet finira peut être un jour dans le continent de plastique qui nous engloutira. Devenu prosaïque c’est tout juste s’il évoque un personnage de dessins animés. On n’en finirait plus de dire les formes et les couleurs du briquet : Briquets à mèche du poilu, zippo du GI, briquets clipper vendus à la douzaine, briquet de luxe aux marques prestigieuses qu’on exhibe pour marquer sa différence sociale. Les plus courants sont d’un plastique aux couleurs criardes, parfois supports publicitaires ils affichent un nom ou une adresse d’entreprise, d’autres se contentent de reprendre à l’infini des clichés vidés de leur sens. Il y a du plaisir à le tenir au creux de la main. On le fait tourner, pour rien, par simple envie de s’assurer d’une dextérité idiote, un simple geste pour apaiser l’inquiétude, on les tourne en tout sens comme preuve de l’existence de la matière. Au nombre des objets facétieux il disparaît et vous laisse au moment du plus grand besoin. On le croyait dans une poche mais il a déjà disparu. On le cherche comme le mot sur le bout de la langue. On croit l’attraper et le reconnaître , oui c’est bien lui avec sa forme allongée si caractéristique, les doigts en parcourent les lignes dans la satisfaction aveugle de tenir enfin l’objet de leur recherche, l’extraient de sa cache et s’apprêtent à en faire poindre la flamme. Autrefois c’était le moment où la molette glissait sur l’absence de pierre qui s’était amenuisée subrepticement attendant le moment opportun pour créer le vide. Il fallait remplacer l’élément disparu sans lequel la matière restait désespérément inerte. Désormais pour déjouer notre attente il choisit de se révéler vide de toute substance : on entend bien le grésillement mais rien ne se produit. Mu par un vieux réflexe on secoue l’objet comme s’il allait répondre à la sollicitation mais un deuxième essai est tout aussi vain. S’il est rechargeable on part à la recherche du précieux container qui permettra de le remplir à nouveau, mais on est loin d’avoir surmonté l’épreuve car il faut trouver le bon embout. S’il ne l’est pas, on sait que quelque part on trouvera son jumeau; l’objet insignifiant peut être remplacé et il en traîne toujours dans une poche ou un tiroir. La quête fiévreuse recommence mais on finit par rendre les armes. Alors on s’habitue comme d’utiliser un mot pour un autre et l’on finit par recourir aux allumettes.
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Bravo… c’est très malicieux et finement ourlé… et la grâce de l’expression : » On le cherche comme le mot sur le bout de la langue »
Merci de votre passage. Pour la malice, la lecture de Ponge m’a montré la voie sans atteindre la perfection de son expression.
Cette dernière phrase 💖
ah, le retour aux allumettes, c’est tellement drôle ! et le texte qui s’en suivrait sur les pochettes d’hotel, quelques batonnets plats dans un carton plié et agaphé, j’aime bien comme le briquet se défile pour nous jouer ce tour de mémoire supplémentaire,
Merci! Ton texte m’a rappelé deux de mes briquets : le premier un Dunhill en or, que j’ai reçu en cadeau et que j’ai offert à mon tour, le deuxième, minuscule, frappé d’une tête de Lénine et de la faucille et du marteau -le tout en couleurs- que j’avais acheté sur une brocante à Montpellier et que je dois avoir encore quelque part… les briquets sont comme les gens: il y a les hautains et les prolétaires! Bravo pour les allumettes finales…
Ah, Dunhill ça me rappelle quelque chose. Je pourrais raconter l’histoire d’un Dupont confisqué à l’aeroport de Montréal. Mais je ne voulais ps entrer dans ces détails. Et puis parler du briquet c’était parler d’autre chose. Ponge fait ça on croit qu’il parle des objets et en fait il ne parle que de l’écriture. Le parti pris des choses c’est un très mauvais titre.
Oui, bien sûr, la forme et le fond… Nous on rêve aussi en lisant, on voit des images, on a nos propres souvenirs… le texte échappe toujours à son auteur, on y met sa valise à soi!…