Murmure, odeur sucrée, à l’ultime battement d’aile de la nuit et du papillon mordoré, comme le soupir du fauve ensommeillé. C’est le début de la tempête et de la journée. Et la mer, tout au loin, charrie ses nuages de poussières. Et les anges, ivres de vin, se perdent dans le labyrinthe des villes. Et les dieux, abattus d’ennui, dorment ventre à terre en ronflant leur mépris.
Entends, ô souffle aérien qui jaillit du néant, dans les églises désertes et sous les préaux solitaires, parmi les ruines qui se dessinent et l’effritement des fourmilières, le pas cadencé de l’esprit sans âme. Sur la grande place balayée par le vent, un tigre rode à l’affût d’une proie. Il est encore tôt, le temps recule, il fait déjà froid.
Respire, poussière de vie, l’odeur fétide du prédateur à la quête errante et de la main armée, comme d’un feu s’illuminent les braises rougeoyantes. Enchères au port du désespoir, le ciel est jaune, la nuit est noire. Le tigre tourne en rond, le soldat piétine de ses rangers les ultimes lueurs d’espoir. L’odeur du sang soupire dans un courant d’air que la mort qui rôde rend immobile.
Souviens-toi, ô coeur qui bat, des bergeries de pierres blanches qui hantaient mon enfance. On y choisissait un agneau et on l’égorgeait. Et on mangeait la chair morte de l’innocence. Et on dansait l’amour de la tribu sur les restes du sacrifice et de la souffrance. Tous les regrets des bouchers repeupleront l’évidence, tu dois manger quand tu as faim. Et combattre, et t’arrêter demain.
Embrasse, odeur de miel, au dernier vol de l’abeille anéantie et de l’espoir caché, comme le sommeil du chasseur enfiévré. Le soir pointe, l’ouragan laisse au désert la solitude de son oeuvre. Quelques fleurs écrasées tissent un tapis mort et le soleil, sans plus de regrets, s’endort. L’usure du vent attise la sécheresse. Le fauve, haletant de fatigue, et comme enivré, là, épuisé et vacille.
Je lis et relis les textes / ton texte et, petit à petit, je sens les mots prendre leur distance avec le sujet, se donner liberté et me donner liberté de me faufiler entre eux, de regarder le sujet de différents angles de vue, vision panoramique multicouche. C’est précieux.
J’ai moi aussi cette même impression d’une multitude d’angles. Sur une telle proposition d’écriture, cela en est même enivrant.
Je prends de la distance en te lisant. Tu me donnes de l’espace et en ce moment c’est très appréciable. Merci.
Merci pour ce compliment. Mais tu as raison, la lecture des autres donne de l’espace, j’en fais souvent l’expérience.
Merci pour ce texte avec son étrange douceur, cette espèce de pause et d’allègement brutal. Et pour cette phrase qui me marque sans que j’arrive à dire pourquoi : le ciel est jaune, la nuit est noire.
J’ai vraiment été hypnotisé, ou plutôt envivré par Saint-John Perse (et à la lecture des propositions, je ne suis pas le seul). L’étrange douceur dont tu parles m’a profondément marqué dans ses écrits. J’ai aussi emprunté au poète des constructions de phrases et même (je ne m’en suis rendu compte qu’après) au moins une image (la râpe du vent). Heureux que cette étrange douceur transpire de cet écrit de laquelle surgissent, inévitablement, de curieuses phrases.