En 1889, Etienne Mimard décide d’imprimer un catalogue à plus de 300 000 exemplaires et de l’expédier gratuitement à tous les chasseurs dont il aura obtenu l’adresse . Rapidement cet objet, le catalogue Manufrance, se retrouvera dans un grand nombre de foyers divers et variés. Inépuisable, où chacun, grand ou petit, de toutes générations, et pendant des années, pouvait rester entre ses pages des heures durant, à feuilleter, se pencher, décrypter les lettres minuscules donnant les explications indispensables à l’utilisation des objets présentés, affichés sur des vignettes en noir et blanc, puis progressivement en couleur. Happé par un trop plein de possibilités de choix ( c’est ainsi qu’à l’époque c’était ressenti…), le regard errait, se perdait, s’attardait, se laissait séduire et emporter dans des rêveries où l’environnement proche n’avait plus court… C’est lui qui occupait les enfants et leur apprenait à donner au temps une dimension qui ne se mesurait qu’à l’aune du désir. Lui encore, qui peupla leurs rêveries d’images surannées où se déclinaient pour chacun ses propres couleurs. C’est avec lui que l’on passait le temps à s’abimer les yeux sur des mots enchâssés et à s’engloutir dans une reptilienne rêverie au cœur du charnier des images. Lascivement, les doigts s’abandonnaient sur ces trésors, levant les voiles d’un univers inaccessible, frissonnant dans des élucubrations, où l’on s’inventait, de méandre en méandre, des histoires éperdues. Les cent premières pages ( et sans doute davantage car ce catalogue s’appelait quand même le catalogue Manufrance, manufacture française d’armes et de cycles de Saint-Etienne) concernaient les tenues et matériels de chasseurs et pêcheurs, avec de nombreuses armes bien sûr, cannes à pêche et autres objets liés à ces activités, puis on s’envolait vers les “Hirondelles” avec les gardeboues ( c’était en un bloc solide…) et les pneus ballons garantis sans crevaison (çà c’était indispensable) et cerise sur le guidon de la bicyclette, le petit timbre à deux tons pour rivaliser avec les oiseaux et de couleur bleue afin de se rendre invisible lorsque l’horizon aurait été rejoint. Il y avait les pages des jouets où s’attardaient les enfants, certes moins variées que sur les catalogues d’aujourd’hui, mais avec déjà de beaux objets, offrant des jeux de tonneaux, des patinettes, des petits billards, des autos à pédales, des tentes d’indien, des mallettes de jeux de société, des poupées, un piano jouet au son indéréglable, des machines à coudre miniatures… Il y avait les pages des postes de radio, des récepteurs Manufrance ( modèles de chevet, modèles à 6 lampes au clavier à 7 touches 4 gammes d’ondes et 2 stations préréglées), des appareils-photo avec la marque Luminor et son objectif ménisque, des montres et pendules, celles d’instruments de musique avec ses accordéons Honner, des trompettes de cavalerie, clairon, cornet, guide-chant, les pages pour constituer un trousseau avec ses draps aux parures brodées ou fantaisies, ses torchons d’essuyage et de ménage (mais qui pouvait bien rêver là-dessus)…, les pages des meubles avec ces bureaux aux multiples tiroirs ( et forcément un tiroir secret difficile à mettre à jour…), des articles pour voitures, de la vaisselle, des vêtements de travail, des tissus… Bref, tout cela était sans fin! Un vrai miracle que de réussir à inscrire dans un seul objet tant de désirs insoupçonnés… Et s’il ne fallait en garder qu’un au sein de ce capharnaüm, on laissera la parole à la petite fille que j’étais il y a fort longtemps : l’élue se nommait travailleuse, avec ses casiers superposés s’ouvrant en éventail, laissant soupçonner des recoins, des cachettes à n’en plus finir, et une poignée sur le dessus pour le transport, où pouvait se ranger tout le nécessaire d’une bonne couturière. Si l’un d’entre vous possède ce genre de coffrets, qu’il regarde, sous les fils, les aiguilles, les morceaux de tissus bigarrés, les ciseaux ou autres objets d’une couturière avisée, il trouvera peut être les secrets d’une fillette qui n’avait que des rêves de papier à tripoter, des mots à ressasser – bouterolles, brucelles, coulisseau, zéphir – , des images perdues d’où surgissait parfois le chemin d’un égarement toujours plus grand. Après avoir usé ses yeux entre ses pages un peu froissées et tachées, ( 620 pages en 1960 quand même) on refermait le catalogue ( 180x 254 mm) le rangeait sur l’étagère où il se devait de reposer, bien à plat, la couverture souple légèrement écornée, jusqu’au prochain effeuillage.
Oh merci de lui redonner vie (et avec poésie)… moi les torchons j’au toujours rêvé dessus (maintenant j’use ma provision) sans doute le fantasme de l’armoire garni de linge quand on est seule, sans trousseau et sans possibilité d’acheter des piles de draps inutiles 🙂
Les rêves ont tous les droits et il en faut pour tous les goûts! Merci pour ce regard!
Merci pour votre texte, qui me rappelle les nombreux catalogues que j’ai abondamment feuilletés avec une douce frénésie !
Merci de vous être penché entre mes mots!
(vaguement le sentiment de me souvenir (je n’en ai jamais vu mais tu donnes un bel éclairage du bidule) de lui – j’ai pensé immédiatement au Chasseur Français avec ses annonces plus ou moins matrimoniales tout ça (jamais lu non plus d’ailleurs…)) (et le Mimard, était-il stéphanois ?) (avec un prénom pareil…) (merci en tout cas)
Etienne Mimard est mort à Saint-Etienne ( il y a une avenue et un lycée qui portent son nom) et le Chasseur français était bien en lien avec lui. Et merci pour ta lecture!
Les petites annonces du Chasseur Français c’est toute une littérature codée et fort réjouissante. Une belle matière aussi et pourquoi pas un récit d’objet à développer… Allez-y voir…
Merci de donner voix à ce catalogue -véritable encyclopédie du quotidien il est vrai- et d’entrouvrir ses secrets. Mon texte « Petit garçon » P#8 l’évoquait rapidement.C’est chouette ces liens qui se tissent d’un texte à l’autre.
Oui, des échos des uns aux autres, c’est très sympa§ Je suis allée lire « Petit Garçon », très touchant (et son édredon rouge de Manufrance) Quant au Chasseur français, il y en avait une pile à côté du catalogue chez mes grands-parents…
Merci pour cet émouvant inventaire, j’ai reçu cet été le cadeau d’une magnifique travailleuse en chêne toute restaurée, je ne dirais rien des secrets qui s’y trouvent.
J’adore ces échos d’une personne à l’autre! Chaque fois que je suis dans une brocante, mon oeil part à la recherche de cet objet: je regarde, ouvre les casiers, et repars sans l’acheter…Et merci pour ce message laissé§