Dans la famille des potentialisateurs dimensionnels, il y a, bien évidemment, le canon à rayon omega du conciliateur galactique, le capitaine Zorgleb, arme capable d’envoyer tout ennemi aux confins du temps dans une dimension dont personne n’est encore jamais revenu. Plus simple, il y a la caméra 3D, un condensé de technologie, processeurs graphiques et logiciels innovants, permettant la construction d’une image stéréotypique ou d’une holographie. Il y a aussi l’imprimante, 3D elle-aussi, pour créer une modélisation idoine par fabrication additive. Et puis, il y a le surligneur. Dans l’espace en deux dimensions que représente une modeste page d’écriture, lettres noires (le plus souvent) sur feuille blanche (le plus souvent), la troisième dimension n’est pas l’épaisseur ou la profondeur, mais bel et bien la couleur. « Mets du relief dans tes comptes-rendus ! », pestait le capitaine Zorgleb au sergent Birkoun, en charge de lui livrer quotidiennement un rapport détaillé sur les ressources disponibles du vaisseau intergalactique qui les emmenaient de planète en planète en passant par tous les recoins cosmiques connus et inconnus. Le sergent, dont la mère enseignait les soixante-quatre langues de la confédération interstellaire aux rejetons de la Guilde, savait bien qu’il ne s’agissait pas là d’une critique littéraire. Il ne s’agissait pas d’écriture (pour laquelle on sait tous que le nombre de dimensions est incalculable), mais bel et bien de lecture. « Mettre du relief dans ses compte-rendus » signifiait, simplement, surligner de couleur, fluo de préférence, les mots ou passages importants dans ses rapports. La case indiquant les réserves de carburant du vaisseau, par exemple, ou encore celle de l’état du stock en bières bwaltes, meilleur remède contre l’essentiel des affections que peuvent attraper les voyageurs galactiques. Alors, dans son bureau luminescent, voyants clignotants, écrans réfléchissants, claviers phosphorescents, le sergent Birkoun prenait son surligneur et se mettait à l’ouvrage. Avait-il déjà connu extrapolateur sub-dimensionnel d’aussi simple conception ? Pas à son souvenir. Le « ploc » du bouchon qui saute et l’odeur alcoolisée du colorant fluorescent le renvoyaient à ses plus jeunes années. Un vestige d’un autre temps qui dépassait celui de sa jeunesse, à en croire grand-mère Flitoune quand elle lui racontait la sienne, de jeunesse, avec ses cahiers en papiers, ses chemises en carton, sa trousse garnie de crayons de couleurs, de stylos billes et à encre, de compas, gomme, crayon gris, effaceur et, inévitablement, du royal surligneur. Fluo jaune, rose, bleu, voire orange ou vert si la taille de la trousse le permettait. Pour mettre en relief l’important, l’indispensable, l’incontournable. Pour ouvrir une porte de l’espace-temps et accéder directement à la source, à l’origine, au big bang. Comme quand le capitaine Zorgleb faisait glisser l’immense vaisseau qu’il pilotait dans les méandres d’un trou noir jusqu’à la lumière de l’essentiel.
Haha! Quelle belle idée que ce récit! Chouette 🙂
Merci. Après moult essais peu concluants, me suis laissé aspiré par le cosmos.
Merci pour ce surligneur (l’homme ou le stylo ? à toi de décider) qui surfe à souhait sur la vague, trop amusant ce mélange SF et temps présent, on n’a qu’une envie : aller surligner un truc, si possible sur un Post-it mais c’est une autre histoire,
Le post-it, belle idée. Je me demande ce qu’on pourrait bien en faire aux confins de la galaxie…
Haha! oui le Post-it!! Il y en a un dans mon récit de l’objet mais sans en être le cœur 😉
(ça sent la rentrée, putain !!) (j’ai sursauté, j’ai cru voir le Zorglub (immonde) de chez Spirou -mais non, ouf) marrant comme tout- merci à toi
Je croyais que le nom de Zorgleb m’était venu innocemment, que je l’avais inventé. Tu me prouves que non… Merci à toi.
C’est beaucoup trop court JLuc ! J’en veux encore 😉 J’aime beaucoup ton entrée en matière qui ressemble à celles d’Asimov dans ses recueils de nouvelles 😉 Je pense que t’es bon pour développer tout un univers… en tout cas, moi j’adhère ! 😉
Merci Ysa-Lou. Plus lu Asimov depuis bien longtemps, comme quoi il doit m’en rester des traces. Pour un premier écrit « façon SF »…
Super belle piste pour aborder l’usage de cet outil simple et basique… Et nous aussi on se laisse aspirer par le cosmos et on superpose la trace fluo du surligneur à la courbe flash dessinée dans l’espace par un sabre laser…
et un grand salut au passage surligné en vert flashy !
Merci Françoise. Il y a des moments où on a besoin de fluo…
J’adore ! La façon dont tu t’amuses avec les codes de la SF pour parler d’un objet des plus quotidiens, et les clins d’oeil (à Borgès ?) tels que « il ne s’agissait pas d’écriture (pour laquelle on sait tous que le nombre de dimensions est incalculable) ».
Merci Laure. En repensant à notre discussion de lundi dernier (à ce moment là, je n’avais pas idée de ce texte), je mesure le bouillonnement permanent qui nous amène à écrire. Prendre une idée, la considérer sous une multitude d’angles, la peindre, la revêtir de plein de déguisements, la confronter, la mélanger, la mettre dans un shaker, la cuisiner…
Aaah c’est un délire concassé, dépiauté, mis à l’index, bouillonnant, et quel humour !! une vraie claque d’audaces….
Merci Françoise. Très touché.
Rétroliens : #P10 | Le surligneur, le moment d’après – Tiers Livre, explorations écriture