Un manche, une traverse, des dents, rachitique râteau, maigrichon râteau, anorexique râteau appuyé au repos contre un mur ou sournois râteau dents levées vers le pied le manche prêt à t’assommer, couché soudain debout, traître râteau il vaut mieux le prendre par le manche et tirer la terre derrière toi que devant, râteau grattant la terre, un coup de râteau les feuilles disparaissent, plantées dans ses dents crochues ou dans ses dents droites, dents dévoreuses, piquantes dents, dents de bois, dents de métal, dents rouillées, dents souillées, dents plantées, déchirantes dents, déchireuses dents, dents écartées, dents pendues au râtelier, le râteau est un porte-dents mais c’est le manche qui use la paume de tes mains, manche à râteau droit comme un manche à balai, plus dangereux qu’un manche à balai, le râteau est un balai armé et il y a des râteaux de toutes tailles, il y a surtout le souvenir dans ta tête de ce gros, de cet immense râteau que tu tirais pour les foins derrière la botteleuse, râteau plus haut que toi enfant, râteau à denture de dinosaure, lourdeur du monstre que ta main traine dans la chaleur et dans le pollen, râteau à poussière, une fumée monte du sol quand le râteau ratisse ou ratelle ou rature, râteau encore raté, tu t’es ramassé un râteau, rien vu venir, râteau debout, non c’est non, elle dit non, râteau, pas pelle, râteau, tu rappelles, râteau, toujours non, encore un râteau, le râteau est têtu, s’il se dresse sur ton chemin, le râteau te tue, le râteau te tire dessus, un râteau ça tire, ça ne pousse pas, le râteau toujours tire, il tire à soi, le râteau, il prend, il ne donne pas, il accumule, il accapare, il garde, il est conservateur, le râteau, il est radin, il est pingre, il est grippe-sou, il est râteau, le râteau, c’est une grande main squelettique qui griffe et qui gratte et qui garde pour elle, rien que pour elle, tout ce qu’elle attrape, car malheur à ce qui se trouve coincé entre les dents du râteau, le râteau ne rend rien, il garde tout sur lui, le râteau, il est couvert de tout, le râteau, mais il ne mange rien, il reste sans chair, sans rondeur, il reste sévère, le râteau, il ne s’épanouit pas, il garde seulement collé sur lui l’écume de la terre et il se révolte quand une secousse vigoureuse tente de l’épouiller de ses scories, le râteau qui prolonge le bras décharné de ton corps qui refuse que lui pousse des ailes.
Voici un beau texte qui pousse bien la langue !
Merci, Vincent !
Merci beaucoup, Fil (même si le râteau tire la langue, si je puis dire, plus qu’il ne la pousse, me semble-t-il).
quelle belle idée ce râteau, très beau texte, je lui garde une petite tendresse, j’aimais beaucoup passer le râteau, comme le balai, quelque chose de la méditation
Merci Caroline pour ce gentil commentaire. Mon rapport au râteau est beaucoup moins tendre et méditatif, étant donné qu’il s’agissait, quand j’étais enfant, d’un immense râteau qu’on devait traîner derrière nous dans la poussière sous le soleil de juillet à la période des foins …
Merci, Vincent pour cette revisitation du râteau ! C’est tout un monde qu’on découvre à travers ce regard particulier ! Quelle belle proposition et quels fascinantes visions on découvre à travers elle !
Merci Helena, le monde du râteau ne s’ouvre pas facilement, mais il me parle et je suis content qu’il vous parle aussi.
Il fait peur, ce râteau ! À l’observer de si près et avec tant de détail on finit par perdre de vue ses dimensions…Il en devient gigantesque, puissant, un peu menaçant avec ses « déchireuses dents »…C’est très réussi !
Merci Xavier, en effet, les râteaux me font peur.
Bravo, je dois vous dire Vincent que cette fois avec moi vous ne l’avez pas pris ce râteau. je vous ai suivi… très vivante évocation de ce monstre squelettique suspendu. Merci.
Merci Bénédicte, je suis heureux de ne pas prendre de râteau avec mon monstrueux râteau.