Le composteur
Avant il faisait des trous, aujourd’hui il comble le vide.
Ce merveilleux appareil à la délicate mécanique déposant dans un cliquetis une ligne de caractères ou de chiffres sur un billet de train ou une fiche de présence, préférant, dans d’autres circonstances, la perforation définitive comme le poinçonneur des Lilas de Gainsbourg, a droit, à l’heure de la lecture optique et du QR code, à une seconde vie, plus statique.
Conçu initialement avec des matériaux de récupération, il se fabrique en série, en matière plastique (pas toujours recyclée), en acier inoxydable ou en bois de préférence FSC. De grande ou de petite taille, il trône au jardin, sur le balcon, dans les espaces communs des immeubles et même sur la table. Aujourd’hui chacun l’honore de ses offrandes quotidiennes.
Le composteur est un objet superlatif : il est à la fois inerte et vivant, transformant les déchets organiques – on ne dit plus pelures d’oignons, épluchures de pommes de terre ou rognures de viande – en matière noble, riche, réutilisable à volonté. Il est désormais inodore grâce à son filtre à charbon actif (facilement remplaçable et assurant un apport en oxygène nécessaire pour éviter une décomposition trop rapide) et ses joints en silicone qui empêchent les odeurs de s’échapper.
Boîte de Pandore, dont personne ne soulève le couvercle, il est le lieu clos de la transmutation de la vie, de la transcendance de la mort, œuvre biblique de bactéries, de champignons, d’actinomycètes, de vers, de larves – le plus souvent de cétoine dorée -, d’acariens, de gastéropodes et de cloportes, toute cette arche de Noé au service de la chaîne alimentaire.
Pourtant, presque plus aucun homme moderne ne veut abandonner son corps à la terre, composteur naturel, à ce monde grouillant, à ces tortillons de terre fraîche (riches déjections des vers de terre anéciques ou arénicoles), à cette transmutation naturelle, préférant offrir sa dépouille aux flammes éternelles du four crématoire. Ce feu d’artifice transgénérationnel magnifié par le catalogue Granimon, « spécialiste de l’espace cinéraire, plus de 35 ans d’expérience à votre service », lève tout ambiguïté sur la contradiction écologique à préférer l’explosion ignée au linceul de la froide Gaïa : « Bien qu’un crématorium rejette des polluants de gaz dans l’atmosphère, l’incinération s’inscrit néanmoins dans une démarche plus écologique que l’inhumation, notamment en matière d’émission de CO2. Bien que les kilos d’émission de gaz à effet de serre soient moins importants lors d’un enterrement que d’une incinération, cette tendance s’inverse dans le temps, l’impact environnemental de l’entretien des tombes étant plus pesant que celui de la crémation. » En Lorraine, conscients de leur devoir écologique, des bénévoles armés de binettes, de bêches et de râteaux, ont désherbés les tombes abandonnées d’un cimetière. Ce pourrait être le bourgeonnement d’une nouvelle mode, le SCCB ringardisant le plogging, le service civique cinéraire bucolique remplaçant le service national universel ?
« La possible inversion de tendance chez les jeunes en faveur de l’inhumation reflète aussi un changement du rapport au corps, avec une crainte plus grande de le voir brutalement disparaître et un plus grand désir de le voir retourner à la terre et d’en conserver une trace physique », selon une étude récente du Crédoc.
La jeunesse ne s’y trompe pas. Il y a dans bien le composteur l’amorce d’un futur éternellement renouvelé ; il rachète l’homme de tous les péchés.
Dans le dernier livre de Emmanuelle Salasc, Hors-gel, qui de situe dans un futur de cinquante ans environ, elle convoque (?) l’humusation : une façon biologique pour le corps de quitter la terre en y retournant après tout un processus qu’elle décrit savemmment, le votre, Laurence, n’en est pas si éloigné dans sa précision et ses petits détails qui le rendent attachant,
J’ai lu de bonnes critiques de ce livre, voilà un argument de plus pour en faire l’acquisition ! Merci pour ce commentaire.
Ne pas confondre composteur et pourrissoir ai-je appris dans la belle formation dispensée par la communauté urbaine du grand Lyon qui donne des composteurs…mais pas encore de concession perpétuelle.
je viens de m’en installer un y a 10 jours, chaque soir j’entrouve le couvercle pour voir ce qui se passe là-dedans !
Je vous remercie pour cette précision !
Oui, on veut tous savoir ce qui se passe dans la boîte !
Beaucoup aimé ce texte étonnant. Tout ce qui a été écrit à propos d’un seul objet, quel fourmillement d’idées. Merci. M’en vais voir sur facebook.
Merci Anne. Pas facile de trouver un objet ! Celui-ci m’a semblé emblématique de notre société. Je lui voue un bel avenir !
Ah oui, ton neutre idéal pour aborder un sujet essentiel, le recyclage et notre devenir post mortem…
Pour ma part je n’ai pas de composteur aussi sophistiqué, mais j’ai une grande fosse au fond de mon jardin où mes déchets végétaux bon ménage et livrent chaque année une nouvelle terre propice à la germination qui s’empresse d’enrichir mon potager et mes rempotages…
Quand à la fin de notre grand séjour sur terre, il me plairait bien d’être livré aux vautours de la mine, tout là-haut, au-dessus de la mine des Malines comme on le pratique au Tibet, le bois étant denrée précieuse
Merci Laurence pour ce texte au développement inattendu…
Merci Françoise pour votre commentaire, et de partager votre vision de ce que deviendra votre dépouille. Une simple inhumation me satisferait pas forcément dans un cimetière…
Un texte-découverte, révélant secrets compostés. Superbe !
Merci Helena ! Chaque objet recèle ses secrets et ses correspondances (en référence à Baudelaire).
Merci pour votre texte !
Je ne participe plus guère aux ateliers en ligne faute de temps MAIS JE COMPTE M’Y REMETTRE TRES VITE tant les différents ateliers suivis ont été de belles aventures! En tous cas je me permets de partager ce texte en retour : https://www.tierslivre.net/ateliers/interstice-1-cinq-3-d/
car il y était aussi question du compost dans le dernier paragraphe….
Perso j’ai une passion compost et j’aimerais tellement écrire un jour un livre qui s’intitulerait « Passion Compost ». Si ça en tente de certains de se lancer dans une écriture collaborative sur ce thème, j’en suis !
Merci pour ce texte, pour ma part le composteur je l’ai éloigné de la maison, il était habité, par des rats. Les rats sont tout à fait « naturel et écologique », Et si je sais qu’il sont partout, je ne préfère pas les voir.
Ils vivent leur vie, je vis la mienne.
Quelle jolie glissade ! Mon compost, à moi, c’est le dessert hebdomadaire des sangliers qui font la java, un retour à la terre festif de ces délinquants cochonesques. Chez moi, il n’est pas question des flammes éternelles mais de la fièvre du samedi soir. Merci pour ce beau texte.