On peut blâmer la fourchette pour sa rigidité – pas question qu’elle cède à la torsion, à la pression -, pour son insensibilité – elle n’hésite pas à porter à la bouche le mets brûlant qui anesthésie la langue – mais on ne peut qu’admirer sa capacité à s’adapter à toutes les situations. Elle ramasse les grains de riz, les petits pois, pique les feuilles de salade, se plante dans les cubes de potimarron, immobilise le steak sur l’assiette, se glisse dans le creux des macaroni, enroule les spaghetti, crève le jaune de l’oeuf, extirpe l’escargot, écrase, mélange, bat.
Entre l’assiette et la bouche, la distance est faible. Environ 30 cm pour un individu de taille moyenne assis à une table de hauteur standard bien calé sur sa chaise de façon à rester droit – on amène la fourchette à la bouche et non la bouche à la fourchette-. Au vu du nombre de bouchées avalées à chaque repas, on peut estimer à 12 m le chemin parcouru sur une durée comprise entre 20 mn – temps de pause minimale du salarié travaillant plus de 6 h consécutives – et 120 mn – repas d’affaire ou repas entre amis ou repas d’amoureux encore qu’en ce cas, la fourchette, parfois suspendue à une main rêveuse, décrive d’improbables arabesques qui faussent les données-. On ne peut donc pas dire que la fourchette se distingue par sa célérité. Au mieux 0,036 km/h pour une pause déjeuner rapide dans la configuration optimale où la fourchette n’est pas dédaignée au profit de l’ingurgitation de sandwich, burger ou autre finger food compatible.
Je n’avais jamais vu la fourchette sous cet angle-là…
Bravo pour ce texte original et plein d’humour !
C’est mathématique c’est bien dit et c’est drôle. On aurait pu évoquer aussi la question du lavage de la fourchette et le bruit horrible quand elle heurte la dentition de son voisin table… Merci pour ce texte !
A vous lire ou cherche derrière ses multiples actions à saisir sa personnalité, c’est très drôle. Sacrée fourchette !
Une fourchette vivante ! Bravo Aline, j’ai beaucoup aimé. Et quel humour!