Fil de fer nu, pièce de bois élégante ou rudimentaire, élément en plastique rigide, parfois rembourré, recouvert de tissu, pliable, avec encoches ou crochets, simple barre courbée plantée en son milieu d’un large crochet en métal, triangle aplati en plastique noir ou de couleur surmonté dudit crochet d’un seul tenant, barre droite munie de pinces, l’Objet règne en maître dans penderies, armoires, dressings, sur patères, portants et porte-manteaux. Une interdépendance salutaire entre l’Objet et son complément, allant jusqu’à une franche complicité grâce au contact permanent entre crochet et barre/fixation qui permet à l’Objet de déployer toute sa fonctionnalité : reproduire les épaules humaines, rien de moins, pour garder nos vêtements à l’abri, droits, sans plis, les prévenir de tout froissement. Toutes ces épaules se serrent tant qu’elles peuvent pour accepter les nouvelles venues, drapées de tissus de toutes tailles et matières, poussant un cliquetis de soupir quand l’une d’entre elles glisse le long de la barre pour s’en échapper et revenir plus tard allégée de son précieux habillage. Total respect pour l’Objet. Malheureusement quelle que soit la carrure ou la constitution de celui-ci, mes mains sont victimes d’une malédiction à son contact. La lutte débute dès qu’elles tentent de saisir l’Objet. Les crochets à ses extrémités vont s’emmêler avec ceux de ses congénères, situés devant ou derrière lui. Fort d’une solidarité inattendue, un compatriote va se laisser tomber à la place de l’Objet convoité, ou fait valdinguer sa charge textile dans le fond de l’armoire. Pire, l’Objet en question va résister sur son portant métallique jusqu’à parfois se briser face à la résistance des mains, révélant une franche endurance dans ce conflit permanent. Dans les lieux publics, même combat. Mes mains cherchent à explorer une parure vestimentaire, mais c’est le voisin de l’Objet qui réagit et fait tomber sa pièce textile. Gêne complexée des mains. Remettre l’habit correctement sur son support est une épreuve, devant les yeux méfiants du public. Difficile ensuite de raccrocher le jumeau de l’Objet à sa place initiale, il viendra rejoindre les autres en début de rayonnage. Ayant pris conscience de leur handicap avec l’Objet, mes mains renoncent parfois tout simplement de prendre tel ou tel vêtement. La plupart du temps l’Objet associé au textile acheté est jeté par la caissière sans état d’âme dans un carton. Pour mes mains, une belle revanche. Cette aversion contre les Objets cintrés ne s’est pas développée au point d’être phobique, mais une guerre larvée s’est engagée. Certains d’entre eux finissent emmêlés dans une pile, incapables de sortir de leur coin, ou directement dans la poubelle. Même un valet de nuit sur pied, n’aurait pas grâce face à l’incurable maladresse de mes mains. Inventeurs de tous bords, puissiez-vous un jour trouver la solution pour que mes mains fassent enfin la paix avec l’innommable, insaisissable Objet. L’appel est lancé.
Happée par le titre j’ai lu la suite et j’ai pensé aux nids que des corbeaux, je crois, du moins des oiseaux, des gros, font avec les cintres jetés /perdus /inutilisés dans une /des ville(s) en Asie (ou ailleurs) et ce que ça engendre bien sûr.
Je suis allée voir l’info https://ondevraitenparler.wordpress.com/2014/05/04/les-rois-du-recyclage/
Effectivement les corbeaux de Tokyo sont voleurs de cintres.
Merci pour ta lecture et ton appréciation du titre.
Très drôle de croquer le vécu sous le prisme de cet objet retors ! Merci Martine !
Merci Emilie pour ta lecture. J’aime bien « retors » ou tordre le cou à l’Objet ! Quoique … avec son crochet … il est toujours gagnant !