Ce sont des circonstances particulières : le Panthéon, le geste sans doute calculé (mais on ne va cracher dessus) du pouvoir en place et l'abjecte présence déplacée de certains élus de cette république (aux grands hommes la patrie reconnaissante ?) - quatre-vingts ans déjà peut-être - le 3 de ce mois, dans le Marais, vers midi c'était un samedi je crois bien, on lut les noms des déportés du convoi 67 - 1214 hommes et femmes à destination d’Auschwitz, 985 furent gazés à leur arrivée au camp. Quand l’armée Soviétique libéra le camp le 27 janvier 1945, seuls 26 déportés dont 12 femmes avaient survécus aux épreuves. Il y avait celui que je porte, et tant d'autres (dont celui de Willy).
Il y a peut-être quelque chose comme une jouissance à se rendre compte qu'on est encore en vie - mais surtout une douleur à l'évocation de ces meurtres crimes exactions tortures assassinats on n'en finirait pas - on n'en finira donc jamais - avant hier, cette apparition sur le mur, que j'ai partagée qui m'était partagée par je ne sais qui (une connaissance marseillaise et un algorithme complaisant) - mais c'est aussi un empêchement à écrire bien que c'en soit aussi le moteur - cette apparition que je partage ici parce que ce sont des femmes (je les préfère) agissantes (un peu comme celle à qui je pense, en écrivant, l'un des chantiers en devenir - en devenir de quoi ? - un peu comme cette Norma qui, tous les matins, portait à un vieillard probablement sénile, croupissant là sous sa véranda, à moitié endormi et l'autre moitié morte, une tartine beurre de cacahuète et tranche de tomate) et pour tenter de me libérer un peu de cette gangue ou de cette zone d'intérêt comme l'indique ces temps-ci le cinéma
Ce n’est pas dans ma nature disait quelqu’un
une nature morte
la vocation, l’écriture qui ne cesse de se dérober, quelque chose à dire encore, quelque chose à donner, ces jours-ci ont quelque chose de la terreur, de l’histoire, ces vingt-trois là – on en a laissé vingt-et-un dehors, plus une, mais on en a fait entrer deux – je ne comprends pas, simplement, je ne cherche même pas à, il y a sur le bâtiment la projection des lumières le tricolore du drapeau, la patrie le pays – je ne comprends pas, il y a quelque chose d’odieux, tout ça pour dire que probablement le vingt-et-un parce que c’est la date anniversaire de l’assassinat (encore et toujours : prendre la vie, pour en faire quoi ? la jeter – la leur retirer pour qu’ils – et elles aussi, justement – n’en fassent pas quelque chose de nuisible à nos intérêts) (nous qui sommes du côté du manche – difficile de ne pas se mettre à cette place, celle des bourreaux – probablement parce que je suis (encore) vivant tandis qu’elles sont mortes) – tout ça pour dire que ce jour-là, sur le mur est apparue cette image, il faut écrire sur ce sujet, si les dieux existaient ce serait une malédiction que l’écriture toujours encore et toujours écrire – pour se remettre en mémoire ce qui n’en est jamais parti mais qui n’est qu’on dit – ça n’a jamais existé non plus si on veut dans la réalité, la mienne – à la question de savoir ce qu’on fait là, on peut répondre que c’est justement ce qu’on fait et l’écriture est une solution, une réponse, un répit – tu crois vraiment que ce sont des hommes qui ont fait ce que tu es en train de contempler ? Vraiment dont tu es en train de rendre compte, des êtres humains, comme toi et moi ? Vraiment ? On préférerait ne pas le croire – on préférerait ne pas – l’histoire est là et la raconter encore – il y avait ces visages, ces portraits : des visages de femmes, des prénoms, des gens n’importe comment, on les regarde, elles nous apparaissent – c’est que je suis obligé d’écrire avant et les images viennent ensuite, je les pose, je les inclue et puis je vais marcher (les liens vont au Maitron)
Olga, Chana, Gisèle, Élise, Ida, Mauricette, Renée, Hermina, Raca ici citées
à vous
Ici l’image
Olga Bancic était la vingt-quatrième du groupe jugé ce jour-là (18 février 1944) dont les vingt-trois autres (des hommes) seront passés par les armes au mont Valérien, le 21 du même mois. Elle fut condamnée à nouveau à mort à Stuttgart, et guillotinée le 10 mai 1944.
Olga.
Je pose ici les images des huit autres femmes, car ce n’était pas qu’une affaire d’hommes – des jeunes gens – et puis les circonstances.
Ici Chana Rajman (née en 1893, à Varsovie)
Adieu, Chana.
Les images ne sont précises – ces femmes en sourient pas – des images anthropométriques probablement – le 3 Février est la date de départ de Paris-Bobigny du convoi 67 (dans ce même convoi, mon grand-père et le père d’une de mes amies)
Ici Gisèle Galambos (née en 1909 du côté de Budapest (Hongrie))
Giséle qui dansait aux Folies Bergères
c’est pour les honorer et ne pas oublier – certainement – quatre-vingts ans de ça, quelque chose de ce genre, sur cette planète même
Elise Gerchinoviz (née à Paris 18, le 23 janvier 1918)
Élise…
Ida Kiro (née en 1899, en Roumanie)
À toi,Ida.
Mauricette Loutski (née le 11 Juillet 1922, à Paris 12)
Mauricette
Renée Tachmann (née à Odessa en 1882
Renée
Hermina Slomovits (née le 13 Juillet 1920 en Roumanie)
Hermina
Raca Wohlmuth (née le 4 Juillet 1909, du côté de Lodz (Pologne))
Raca
À vous.
« – pour se remettre en mémoire ce qui n’en est jamais parti mais ..,-« merci, tellement Piero. Je pensais à elles hier. Je pensais à ce visage d’une femme apparu disparu parmi leurs visages d’hommes . Merci Piero. Essentiel. Oui tellement. Avec les prénoms et les noms. Tellement…
Et pour ce convoi . Leurs noms; celui que tu portes. Et son nom à lui aussi, le mien. Merci
Merci à toi Nathalie
Insupportable liste, je revois les deux fois à Auschwitz avec nos élèves, et la présence à nos côtés d’Ida Grinspan arrêtée à seize ans. Ayant survécu. En revenant sur les lieux du crime vers la fin de sa vie pour essayer de faire comprendre l’incompréhensible, nous disant dans la neige: maintenant, vous savez, vous direz. Mais comment dire? Depuis, elle nous a quittés. Merci pour ces visages de femmes,
et le rappel.
@Christine Eschenbrenner : on ne cessera jamais – rappeler encore…Merci à vous, Christine
Merci Piero.