#été2023 #03bis | Gwoka

4 au minimum. Avec 2, ou 3 ce ne serait pas pareil. Ce serait autre chose. Personne à ma connaissance n’a décrit la danse gwoka comme un jeu. Si je devais me tenir devant une assemblée et l’expliquer, les mots se bousculeraient pour sortir de ma bouche, comme les pensées pour sortir de ma tête, tout dans le même temps. Rien ne serait articulé, ordonné, pour qu’au final la chose énoncée soit claire et intelligible. Une anarchie. J’aurais l’air d’une idiote. Et si à mon chaos verbal… Et quand à mon chaos verbal se rajouterait mon effondrement émotionnel, il ne resterait que moi immobile devant le marqueur, comme paralysée, muette. Il s’arrêterait de frapper forcément. Peut-être que les boulas continueraient, comme pour dire que la vie continue avec ou sans la musique de tes pas, si tu ne veux plus bouger, si tu ne peux plus bouger, dans le rythme des tambours boula. Bouge comme tu veux, avec les pas que tu veux mais dans le rythme des boula bon sang! Sinon tu es tombée dans le canal et tu sors de la ronde. Tonton Odilon avait cette expression. An kannal. Ou tombé an kannal. Tu es tombée dans le canal Madeleine. Le canal de la rue Vatable tonton? Peu importe son nom. Il n’a peut être pas de nom. C’est un canal c’est tout et toi tu es dedans.

Les règles du jeu sont simples Paul. Ils sont 4. Vous êtes 4. Nous sommes 4. Il en faudrait plus en fait si la ronde devait être complète. Il manquerait le chanteur et le chœur des répondeurs.

Même toute seule devant Paul les mots et les pensées se bousculent et je suis au bord de l’effondrement, le corps vacille vers le déséquilibre, vers la paralysie. Je suis muette. Paul me dit amusé:

– Respire. Je ne vais pas te manger.

J’ai envie qu’il me mange. Mais j’ai aussi envie de dire. Je jubile intérieurement parce mon idée de jeu a du sens. Je n’avais pas pensé à l’expliquer comme ça. C’est venu avec 4 sur scène. Ils sont 4. Nous sommes 4. J’ai pensé pour être tout à fait honnête d’abord 2. Paul et moi. Marqueur et danseuse. Pour mon solo. Paul ne sait pas cogner le tambour. Il ne sait pas faire boula et encore moins marquer. J’aurais du penser aux boula d’abord. Tout commence avec eux. C’est le battement de départ. Le métronome, le cœur de la ronde sur lequel nous bâtirons tous, le rituel.

Petite je ne voyais pas les choses ainsi. Petite tout était dans tout. Petite je n’aurais pas idée de disséquer, de discerner, de séparer. Tout viendrait avec tout. La ronde, les boulas, le marqueur, les répondeurs seraient un tout avec la nuit, avec le rhum, avec les rires, avec la parole forte, les chants, les jeux, I ka, I paka, les contes, la jupe de ma mère, l’odeur de ma mère, le bébélé, la lune et les étoiles… rien ne serait séparé. Et cette nuit ne venait pas de nulle part, elle avait été préparée. Les tambours avaient été fabriqués, les légumes découpés pour le bébélé, et préparé par des cuisinières qui savaient cuisiner pour plus de 50 personnes. Il avait fallu aller cueillir ces légumes. Et pour les cueillir il avait fallu les planter. Et dire que je ne voyais que Paul et moi. Lui qui ne connait rien à cette musique. Lui à qui j’explique alors que personne ne m’a expliqué. Je n’ai pas appris. J’ai regardé petite. Après j’ai oublié. Le tambour avait toujours été là. Paul m’avait demandé d’aller chercher ce savoir. Il avait besoin de moi pour son spectacle. J’ai dit 4 minimum si on exclu le chanteur et les répondeurs qui constituent la ronde. 4 minimum c’est seulement la danse.

Je t’explique avec 4. Pour t’expliquer avec 4, il faut que je t’explique avec 6 minimum parce que tout commence, en vrai, avec la voix du chanteur avant les tambour boula. Le chanteur chante. Il donne le rythme. Il y a 7 rythmes. Le toumblak est joyeux. C’est celui que je préfère danser. Le mendé donne la force. C’est le rythme de carnaval, il faut nous laisser passer, rien ne peut nous arrêter. Il y a ensuite le kaladja, la tristesse, la mélancolie et la souffrance, le padjembel, le woulé, sont des rythmes de travail, le graj c’est l’amour, et pour finir le lewoz, plus martial. Le chanteur donne la couleur. Il appellent ensuite les répondeurs qui lui répondent. Quand les répondeurs ont répondu, il appelle alors les tambours. C’est seulement alors que les 2 boulas commencent à battre. Tout est alors prêt pour que le marqueur rentre en scène. Marquer c’est improviser en s’appuyant sur le rythme des 2 boulas, en restant bien dans les cordeaux fixés par les boulas qui encadrent le marqueur. Le tambour du marqueur est debout alors que les 2 boula sont couchés. La danseuse ou le danseur viennent après toute cette installation, cette imbrication de rituel, dans le rituel. Chacun aura son moment, chacun est digne d’être entendu. Chacun a voix au chapitre. Il n’y a pas d’anarchie. Je vais sentir le moment où je pourrai rentrer dans la ronde face au marqueur devant eux 3. Ils ne sont pas là pour me juger. J’ai pourtant une appréhension avant de me lancer. Comme pour monter dans le carrousel, il me faut sentir le mouvement. Le regard est mon ancrage. Je capte le regard du marqueur et nous ne nous quitterons plus des yeux. Il n’aura pas besoin de regarder mon corps, de regarder mes pieds. Nous serons arrimés par les yeux et il me suivra, parce que c’est à mon tour de parler. C’est à mon tour d’avoir voix au chapitre. Les battements de son tambour vont ponctuer chacun de mes pas. Mes pas deviennent son et coup de tambour. Mes coups de reins sont des coups de tambour. Bidim, bidim, bo! Bouk tak, bouk tak, boudouboutak … Nous avons pour nous entendre des règles. La première c’est que je dois rentrer dans la ronde et faire une reprise, c’est à dire un tour sur moi même en restant dans le rythme. La deuxième règle c’est que pour lui indiquer que je vais changer de pas de danse, je fais un déboulé, c’est à dire que je répète mes pas de manière plus précipitée ce qui lui indiquera que je m’apprête à faire une reprise, un tour sur moi même et à changer de pas. Je n’ai pas le droit de changer de rythme. Personne d’ailleurs. Le jeu est de ne pas décrocher du regard et surtout ne pas perdre le rythme et tomber dans le canal. Quand on est un danseur et un marqueur averti, on peut jouer à se surprendre, on peut jouer à s’affronter, par des accélérations, ou des ralentissements presque qu’imperceptibles, mais à la fin c’est un ouvrage, fait main et pied, fait corps à deux avec le soutien des 2 boulas qui performent par leur constance de métronome.

Danse Lewoz où est accentué le déséquilibre. La joute entre le danseur et le marqueur est plus lisible.

Padjanbèl, la danse de travail

Graj, danse d’amour, la repriz se marque sur 3 temps

Toumblak, le rythme de la fête

Kaladja danse qui traduit la tristesse, la mélancolie et la souffrance

Woulé rythme de travail

Le Menndé. Le rythme le pus rapide, danse de défoulement, de fête, elle est appropriée pour un travail de groupe, une cohésion. Vous avez là un exemple de nos bals folkloriques. Nous ne sommes plus dans la ronde, il s’agit d’un spectacle.

En résumé pour cette découverte de la danse gwoka, les 7 rythmes:

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

9 commentaires à propos de “#été2023 #03bis | Gwoka”

  1. Ce texte me touche incroyablement. Tout en rythme, en traversée, par le canal que je connais de l’intérieur. Je ne parviens pas à lire tous les textes ni à répondre comme il faudrait: je le regrette vraiment, mais là, happée par Gwoka, je vous rejoins et vous remercie à chaud
    Christine

    • Merci Christine. Je ne sais pas si le texte est bien clair à la réflexion. Est ce que par exemple on comprend que c’est une musique improvisation et la danse aussi est une improvisation?

  2. o, avait cru finir par comprendre, enfin ç notre façon et c’était ce que nous disait le rythme pressé des phrases (on le rompait parfois pour remonter et reprendre)
    et voilà que ça nous est donné – reste à vérifier en regardant si le principal n’était pas le texte.

  3. Ca y est Gilda. Je découvre ton texte. Superbe 4 en effet ! Et la ronde autour, du chanteur, des répondeurs, du public. Mais, si je peux me permettre, pourquoi si « didactique »? Je m’attendais à plonger dans la peau d’un de tes personnages et vivre de l’intérieur avec les variations duo des boulas duo du marqueur et du danseur, et ces 4 enveloppés des voix qui parfois les laissent tous les 4. Car ces personnages tu les incarnes par l’écriture avec une telle force, de façon si vivante (notamment dans la 2bis et la 3 !). Ca donnerait quoi ? (Suis en retard, je remonte doucement le fil)

  4. Didactique tu as raison et pas forcément nécessaire. J’ai manqué de confiance et j’ai cédé à la tentation d’expliquer cette danse et cette musique qui sont les protagonistes de mon roman. Je dois faire confiance à l’histoire que j’écris au fil des propositions de François. Ta remarque est judicieuse! Merci Émilie