GRONDEMENT

C’est un grondement sourd, au lointain. Le cœur bat plus fort, on devine. Ils n’iront quand même pas jusque- là : tuer la douceur du silence et tout ce qui va avec -chant des oiseaux, bercement des branches le long des chemins. En avoir le cœur net, savoir, une bonne fois pour toutes. Se rapprocher. J’emprunte la voie de la dévastation. Ils sont passés par là, le bruit augmente : saccades, craquements, chutes, les aigus d’une scie géante. Un répit, le bruit est suspendu. Rémission. Mais en se concentrant sur l’espace, on sent le silence saigner, les sèves tarissent. Un appel à l’aide désespéré a pris la forme d’immenses tas de bois, corps mutilés, empilés le long des allées. La scène de crime n’est pas loin, elle est partout dans ce qui est exécuté. Coupes claires, coupes sombres, coupes sanitaires : suppression des grands vivants, plus rentables quand ils sont morts, couchés en attendant l’embarquement.  Le grondement a repris et la colère est muette : des hommes abattent les refuges aux ramages puissants, abattent les témoins des haltes et des murmures amoureux, abattent les grandes respirations des hauteurs. Les arbres ne crient pas, regardent le ciel une dernière fois et laissent en mémoire les souches comme rappel de la décapitation et de la violence.  Maladie. Je suis forêt et jette par-dessus bord comme fétus de paille tronçonneuses, abatteuses, scies, élimination. Mort : elle rouillera. Au fond, c’est salé. Je redresse les arbres en écrivant, ils ressurgissent, se rassemblent, forment à nouveau un instrument qui repousse par sa seule présence l’envahisseur brutal. Tu ne savais pas alors, quand nous marchions ensemble, ce qui attendait la forêt. Quand le vent souffle entre les troncs résistants, résonne la toccata de Vierne, interprétée par grand-père, celui qui jamais n’a fini d’agrandir son désir de musique en ajoutant à son orgue claviers, tuyaux, et relais électroniques. Toccata, grondement de la beauté éloignant bruit de la mort. Le temps d’une respiration.     .