Le visage du dernier instant était peut-être une grenade, avec le rouge du sang et les éclats de pare-brise comme des graines.
J’ai caché son visage au fond d’un cahier, grand pour qu’il fasse comme un catafalque, épais pour que le froid n’y atteigne pas, même au cœur d’hiver.
Le visage est peut-être resté intact, même au dernier instant, comme ces ballons de baudruche que les enfants parviennent à maintenir élevé au-dessus de toute catastrophe.
J’ai retrouvé son visage après beaucoup de temps d’abandon, d’oubli entre d’autres images, d’enveloppes froissées, de brouillons reniés ou exaucés.
Il y eut peut-être quand même, sur la joue du visage, une cicatrice raciale, comme on dit, du dernier instant comme j’aime à dire.
Il y a eu pour besoin du ruban noir, bien sûr qu’il fallait que son visage adhère à la dernière page du cahier mais en plus il fallait du ruban crêpe.
Le visage a gardé les yeux ouverts, jusqu’au bout de la route brisée, cela j’en suis sûr, faisant ainsi, il m’a peut-être retrouvé, au tout dernier instant.
Le cahier s’est choisi de lui-même, il y avait du vert à offrir, du vert d’espoir, du vert sombre aussi, couleur d’hivernage avancé, la meilleure saison pour un visage qui a souffert.
La chute du visage s’est faite sur du sable doux, du sable offert en contraste coloré, comme jadis les tables des peintres pour soutenir la grenade de la nature morte.
A chaque fois que j’ouvre le cahier jusqu’à la dernière page, je me demande ce que je vois d’abord, parfois c’est la bouche qui garde l’écho de la parole non dite.
Le soleil a bien dû se poser sur le front, l’espace d’un court instant, l’avant-dernier, pour faire briller là un et même deux grains de sable, à tout jamais.
Parfois de son visage je ne trouve que les yeux, ils sont tapis, ils sont panthère, ils me regardent comme ma félinité d’éternel retour.
Un rideau, il a bien fallu un rideau de nuages s’imposant aux cris autour, s’imposant aux éclats de couleur insupportable, pour offrir à ce visage ce dont il a commencé à avoir besoin : la sourdine.
Le plus souvent, je ne peux dépasser l’oreille, cette oreille qui ne m’a pas assez entendu, qui n’a pas entendu de moi ce qu’elle a espéré, qui a entendu les grésillements de mes balbutiements de langue, qui aurait eu besoin d’une sourdine.
Difficile de laisser un commentaire autre que j’aime ou c’est beau et je sais que c’est peu. J’écris dans l’écho de ce texte fort si particulier. Chaque strophe qui en appelle une autre, tandis qu’une histoire se déplie en sourdine et dont on saura si peu. Le visage au dernier moment qui retrouve le je narrateur… C’est vraiment magnifique. Et la photo, alors là ! Merci
J’ai été très touché et plus encore encouragé de recevoir votre commentaire. Je n’ai pas voulu répondre tout de suite, j’ai attendu de lire ce que vous aviez vous-même écrit, pour tenter de deviner quelle pouvait être la résonance commune. Il me semble que c’est la question du devenir, de l’advenir du visage, soit dans ses prolongements (ce que vous avez écrit, me semble-t-il), soit sans sa fixation (ce que j’ai plutôt fait)…
Beaucoup aimé ce texte, qui nous dit beaucoup sans livrer tous ses mystères
Merci donc pour cette reconnaissance du mystère, devant lequel, c’est vrai, je ne me sens moi-même que pouvant avancer à petits mots…
J’en retiens de la poésie et de la tendresse. Et j’aime. Alors, juste, merci. Et vite la suite.