Grandir dans le graillon qui flotte avec les restes de tabac froid. Apprendre à cuisiner gras, peler les patates, couteau, épluche légumes, suivre la recette du petit carnet noir qui garde les éclaboussures d’huile chaude de toutes ces fois où l’on a cuisiné le même gras, celui qui gicle sur les crédences en petits carreaux, celui qui restera sur les joints de carrelage car il s’imprègne. Il n’y a pas un lieu où le graillon ne se soit pas incrusté, à vie. Patates râpées à la main jusqu’à ce que le bout du doigt se mette à saigner, car il faut les râper au cul, ne pas gaspiller, patates sautées, l’huile brûle le bras mais on tourne quand même, jusqu’au presque brûlé, triomphe du graillon. Il sature l’estomac, mais on enfonce quand même, c’est les patates du père, faut y manger, pas gaspiller, râpées jusqu’au cul, doigts coupés, le pansement le protège, lui, mais le ventre se prend tout de plein fouet, pas de front contre le graillon, il s’est incrusté sur les joints de la crédence, il arrive au creux du bide, pèse lourd, coule dans les artère, faudra vérifier le cholestérol du vieux, à force. Mais on peut pas lui l’enlever, son coup de gras. Huile, beurre, saindoux, sur la petite plaque en fer qui sert à faire les commissions, celle de la grand-mère, on coche toutes les cases, faudrait pas en manquer. Surtout depuis la brouille sur le partage des patates, on était plus d’accord pour le prix, on a arrêté la culture en commun, chacun son champ, chacun sa merde pour ramasser les patates, chacun sa houe, ont bien failli s’enfourcher ce jour-là, le jour où décida de ne plus collaborer sur le dos des tubercules. Mais le graillon continua de couler, jusqu’aux cuisses, marie-graillon, marie-couche-toi-là, souillon, elle mange si gras qu’elle mouille facile, faut pas y craindre mais quand on y est, paraît que c’est aussi bon qu’un bon gueuleton. Elle s’en met dans le gossier, du gras d’homme, elle a grandi dans le graillon, un peu de plus, un peu de moins, elle avale, elle enfourne, n’y gaspille pas, c’est les patates du père. A chaque fois qu’elle suce, ça résonne, pour supporter, ne pas gâcher, ne plus savoir ce qui remue dans sa bouche, entre la patate et le sexe, qui pareillement sentent le graillon. Et le tabac.
WaWW, c’est très fort. J’ai senti, à te lire, dans mon estomac la pesanteur du graillon.
AHH merci Rebecca! Alors bonne digestion, avec le graillon, elle n’est pas aisée! Merci pour ta lecture…à l’heure du repas! 😉
Et moi le gras qui coule jusqu’au menton. Mais qu’est-ce que c’est bon !
Ah oui Martine cela me fait penser que je n’ai pas prévu les serviettes pour essuyer le gras 😉 merci pour la lecture et bon appétit!
Et bien, ça cogne dur dans cette cuisine, un ensemble de pires, un carnet noir qui a vu son lot,
oui Catherine, ça cogne! Et le carnet ramasse….merci!
super texte. pas un gramme à enlever. tout se tient.
Merci Louise pour ce touchant commentaire culinaire-littéraire!
pas une passion pour (quoique…) mais l’écriture de la chose me donne envie de tenter le coup cet après-midi si je peux..
oh oui Brigitte! alors à bientôt à la table des textes…
Je le sens qui imprègne tout, ce graillon qui tâche, cette graisse qui colle… le gras c’est la vie!
Oui Michael! La vie qui éclabousse et qui tâche bien! merci!
Horreur et fascination du graillon. Le fumet flotte dans le texte, on le sent au fond des mots.
Merci Christian ! Oui le graillon flotte un moment dans l air même après le repas…
Génial ! j’adore.
Oh merci Danièle !!!
je me suis fait un morceau de saindoux, à l’ancienne, entre le couteau et la miche de pain
Parfait c est ce qu il fallait faire! Merci
Ben dis donc, Marie-Caroline, c’est le premier #3 que je lis, je voulais un exemple, pas bien sûr d’avoir compris, mais là ça y va très fort. Ce sera dur d’atteindre une telle intensité. Et tant de strates… Merci.
Je suis émue de ton commentaire merci Anne pour cette lecture et hâte de te lire
C’est formidable, cette vitalité, la cadence de l’ensemble qui saute au visage au ventre, bravo ! et la culture des patates, à genoux dans les sillons, je connais bien ça, toute mon enfance quoi !
Merci pour cette lecture Françoise…oui le culte des patates…!
dommage que le petit carnet soit délaissé après première occurrence, il aurait pu rester en filigrane, comme pour porter un peu d’écriture mise en abîme ?
Ah oui je vais songer à le délaisser un peu moins et recroiser ça. Merci François
On sent bien et toute l’importance du gras et celle de la culture des patates, du lopin de terre qui faut pas rigoler avec ! Un texte intense et très ancré au ventre et à la terre.
Merci pour cette lecture! Oui les patates faut pas rigoler avec….
Jusqu’à plus soif et la métaphore assumée, super !
Merci Cécile !!