8:00 se laisser glisser du lit
monter sur la balance
se recoucher
9;00 choisir france inter sur sonos
9:01 24 000
9:02 il aimerait bien les voir en noir les vingt quatre mille cadavres c’est plus irréel fiction y’aurait marlon brando the fugitive kind qui se fait tabasser mais c’est pas vrai il va en sortir vivant et il rejouera un autre film avec sa magnani puis ça s’arrête avec le mot fin il aimerait mais va savoir pourquoi il les voit en couleur les vingt quatre mille le vert est du même vert que le juniperus que le papyrus que le palmier dans le jardin sous ses yeux et à cause de la couleur il réalise que ce ne sont pas des figurants qu’ils étaient vivants il y a peu la petite fille à la robe verte et bleue le mauvais garçon qui faisait le fier il y a deux secondes ratatiné sous le tas multicolore de pierres et de béton vivants il se dit comme moi comme nous vivant mais vivant c’est parler s’indigner se révolter vivre c’est dire non et là rien c’est lui qui vit en noir et blanc sa vie comme décidée ailleurs par les lubies identitaires et les idéologies colonialistes et mortifères d’autres comme si c’était devenu son milieu si naturel qu’on n’en dit rien c’est comme ça voilà depuis trois mois il vit en noir et blanc lui si prêt à bondir sur toutes les indignations il a mis un éteignoir sur ses chers droits humains dont il se rend bien compte qu’après ça il ne pourra plus parler sans avoir honte sans avoir le souvenir de ces images en couleur repeintes en noir et blanc par un peintre macabre il n’a rien dit il ne pourra plus rien dire du tout
10:00 sur l’écran mosaïque vingt huit d’ici, d’Irlande, d’Ohio écoutent la biographe d’Élisabeth Vigée Lebrun expliquer ses astuces pour en savoir plus sur une vie déjà tant racontée. Lire, lire, lire tout ce qui a été écrit, éviter d’imaginer, savoir de certitude ce qu’elle disait à Marie Antoinette, la suivre pas à pas dans sa fuite de la révolution. Vigée Lebrun : vivre à cause de la couleur. Lui vient la nostalgie de la découverte dans les allées du Louvre, ça semble si loin comme d’un temps plus calme sans guerre, sans crise de conscience, nez à nez avec la peintre de personnages pas si fréquentables et le coup de foudre pour ses tableaux. Wikipedia dit 17 000 dix sept mille guillotinés pendant la révolution ; elle a du avoir, elle aussi, quelques inquiétudes dans sa fuite Élisabeth.
C’est quand que c’était reposant d’être vivant ?
Texte difficile. Merci.
Entendu sur Radio France : depuis le 7 octobre, on assiste à un « effondrement de l’interlocution »…
(100 jours plus tard, je me dis que l’indifférence probablement a repris ses droits sur l’effet de sidération.)
Merci Véronique. L’effondrement de l’interlocution, je mets de coté.
étonnante utilisation du « à cause de la couleur », presque un détournement…
beaucoup aimé ce long paragraphe sans virgules pareil à une envolée et il me reste en bouche la nécessité « de dire non »
Merci Françoise. Mais dire oui aussi, de temps en temps, c’est pas mal !
j’ai bien peur que : jamais…
👍 je crois aussi.
Juste merci
Merci pour ce merci.
je trouve pas les mots: ça me remue ce texte . Merci Bernard.
le noir et blanc met-il à ce point à distance?
ce qui met à distance c’est certainement la fiction et je la vois plus en NB qu’en couleur. Il y a une expo de photos NB à la BN, ça a un côté froid, intello, technicien, artistique, détaché du réel. Je crois. En fait, je ne sais pas.
merci pour les questions que le texte suscite. Je pensais aux images d’archives de guerre, de massacre en noir et blanc… est-ce que la colorisation des documents de la guerre de 14 la rapproche de nous. La rend moins « fictionnelle »? Qu’en serait-il des images de Nuit et brouillard ? (Je pense à l’effet, le pur effet de cinéma dans la liste de Schindler la petite en manteau rouge : du rouge pour nous rapprocher de son humanité lit-on). Et la petite fille au naplam ? …