La mauvaise main
Dès le milieu de la maternelle l’écriture était acquise, aucun souvenir ne persiste de cet apprentissage. Premier jour de CP, l’institutrice nous fait ouvrir notre cahier neuf et nous montre comment tenir notre crayon à papier : la pointe bien taillée posée en équilibre sur l’extrémité du majeur juste avant la base de l’ongle et l’autre bout sur l’espace de peau molle dénuée d’os entre le pouce et l’index. Pour assurer la stabilité de l’ensemble les extrémités du pouce et de l’index bloquent le crayon par dessus. Ainsi tenu en pince le crayon est stable. Il est alors possible de faire pivoter la main d’un quart de tour du poignet et de tracer des traits plus ou moins alignés sur la double ligne bleue du haut de la page en partant de la gauche et en allant vers la droite.
La maîtresse passe entre les rangs pour guider les élèves, elle progresse lentement, rectifiant les positions de uns, félicitant les autres. Lorsqu’elle arrive à ma table, elle s’arrête surprise par ma page couverte de traits parallèles disposés à peu près régulièrement sur les lignes bleues. Elle me demande de poser mon crayon, de me lever et de tendre la main avec laquelle j’écrivais en présentant le bout des doigts regroupés vers le haut. Confiante je m’applique à faire ce qu’elle demande. Avec une règle en métal qu’elle gardait dans sa poche, elle tape d’un coup sec et précis sur leurs pulpes me causant une douleur qui me stupéfie. A travers mes sanglots je l’entend affirmer Pas de gauchère dans ma classe !
La bataille a duré toute l’année scolaire, à l’école je peinais de la main droite, je ne progressais pas. En signe d’infamie je n’avais pas le droit d’écrire avec le stylo plume, jusqu’à la fin de l’année j’ai conservé le crayon à papier. Pour les devoirs à la maison j’utilisais ma bonne main. La maîtresse s’en doutait peut-être ou peut-être pas.
Soixante ans après je suis toujours gauchère.
Total soutien. Merci Noëlle.
Moi aussi total soutien, vive la main gauche !
Merci Ugo, Merci Clarence pour votre lecture et votre commentaire. Vive les gauchers !