À cause des brouillards de ces matins d’automne, brumes opaques comme un voile de dentelle étendu sur le sol, cachant jusqu’au bout mes bottes de pluie et la paume blanche de ta main qui tient la mienne sur le chemin de l’école, souvenir presque transparent, pâles instants tout juste éclos du présent.
Mais il y avait aussi ton regard triste réchauffé par le soleil, tes pupilles brunes qui se faisaient noisette lorsque tu me souriais et la douceur des reflets du vert en pleine lumière, quand la pupille sombre se fait aussi petite qu’une tête d’épingle. Ce matin d’automne, le ciel était trop plein de nuages. Je n’ai vu que la rosée, minuscules larmes d’argent, gelant en une trame cassante la toile de l’araignée tendue sur le grillage du jardin, les écureuils roux et celui au pelage couleur d’ébène striée de flèches rouges, déguerpissant au son de nos pas, éclair noir sur le gravier blanc, petit corps gracile presque invisible, sautant de l’ombre verte d’un grand pin pour gagner la cime silencieuse d’un chêne bien trop vieux au tronc déjà couvert de mousse et aux branches nues. Et puis le violet, le brun sec, le jaune vif de toutes ces feuilles couvrant les trottoirs, comme un tapis qu’aurait déroulé l’automne pour nous faire fête. Ton rire chaud. Ta main aussi.
Songer aux jeux du retour comme une éternelle promesse et les cabanes à inventer en grimpant — tes deux mains rassurantes ceinturant ma taille — dans l’abri des troncs creux des marronniers du square. Fragiles images du présent.
On a pourtant repeint le portail de l’école en bleu.
Alors, regarder ta silhouette s’éloigner au loin, seul au milieu de la rue vide, ravaler une larme, se mettre en rang par deux à la sonnerie stridente, s’assoir, le dos droit face à son pupitre. Écouter sans entendre les syllabes exagérées par la maîtresse. Répéter. Répéter encore. Observer la pendule dont les aiguilles paressent. Ne pas oublier de lever la main pour avoir droit de se lever, s’avancer calmement entre la rangée de bureaux et tailler son crayon — sans en mettre à côté de la poubelle posée au pied du tableau noir — tâter la pointe de carbone de son index pour savoir quand c’est assez, regagner sa place le plus lentement possible pour grappiller quelque minutes aux interminables journées d’automne.
Espérer la sonnerie qui me délivrera de ma chaise aux pieds de métal gris chaussés de patins de caoutchouc noir. Refermer mon cartable et sortir en trombe dans la cour. Traverser en diagonale pour sauter dans tes bras.
Ce soir, tu n’es plus là.
Je n’avais pas vu l’hiver au fond de tes yeux d’encre
Le brouillard a voilé les étoiles
Prendre racine sur le trottoir
Se fondre dans le flou de la brume froide
Attendre la neige
L’automne est mort
C’est fou comme toutes les couleurs peuvent sortir de la brume, enchanteresses, et comme la chute fait voile rétrospectivement tout ce texte que je trouve très beau et très émouvant.
Merci Laure de ta lecture☺️
Bouleversée de cette lecture. Merci Géraldine pour ce très beau texte.
Merci Irene , ça me touche beaucoup ☺️