Tu cèdes aux mouvements que l’on impose à la société, et avec une petite grimace rétrospective tu réalises que tu es arrivée à te trouver des raisons, à te l’approprier comme un choix… à d’adapter aux nouvelles façons de faire, à te glorifier d’être capable d’accomplir les gestes simples que cela demande…
Tu n’as jamais connu, sauf lors d’une halte pour acheter pic-nique ou dîner de premier soir dans la location de Lozère, les caisses à tapis roulant des énormes supermarchés des centres commerciaux.. tu connais juste l’anonymat de la femme, plus rarement de l’homme, qui fait circuler tes achats et t’annonce, rapidement, en tournant déjà la tête vers le client suivant que tu n’as regardé que pour lui sourire, la somme que la machine à carte va débiter su ton compte. Tu en tires juste l’impression égoïste d’être seul corps habité |puisque tu ne peux te nier | pris dans une énorme machine qui avance en gros sans à-coup, sauf de petits caillots vraisemblables que tu ne détectes pas, ne prenant pas le temps de regarder autour de toi la vie que tu te contentes d’ignorer comme tu l’as fait dans ton circuit/découverte rapide dans les rayons, à cause du risque, si tu le faisais, de ralentir le fonctionnement de la chaîne et d’impatienter ta ou ton chauffeur.
Mais si tu gardes l’habitude des Carrefour-City de la ville, de la batterie de caisses face au passage ouvert entre les rayons, au seuil duquel tu attends que se libère une des caisses ouvertes, regardant tes voisins, proposant aux jeunes portant leurs sandwichs et paquets de petits gâteaux ou autre qu’ils vont manger sur un plot de l’avenue ou sur un banc de la place pour éviter la cantine, quand ils ne constituent pas un groupe trop nombreux, de passer devant toi, ou remerciant et refusant la place qu’une jeune femme avec ou sans enfant-pouce-dans-la-bouche (en fait c’est une « sucette » mais avec réprobation tu décides de ne pas la voir et optes pour le moindre mal tellement plus séduisant) et charriot chargé ou un homme qui affiche une civilité sereine, appliquée et provisoire dans une journée gorgée de tâches importantes, offre à ton âge et à la relative modération de ton panier, souriant à la grande silhouette qui a mis, à ta demande, son bras à ta disposition pour attraper un article à une hauteur que tu ne saurais atteindre, t’amusant intérieurement de certains dialogues ou fermant ton esprit à des bribes de disputes ou aux échanges de jugements péremptoires et cruels sur les plus faibles que les deux interlocutrices, avant de sourire et « dire bonjour » à la personne, familière ou nouvelle embauchée | qui est alors généralement, semble-t-il, une jeune femme ou un jeune homme ayant obtenu ce qu’il veut n’être qu’un job d’appoint pendant qu’il s’efforce d’obtenir le blanc seing lui ouvrant la porte de l’avenir qu’il a choisi, qu’il obtiendra peut-être si ces emplois de survie lui laissent le temps de se consacrer à cette conquête | d’échanger quelques mots légers avec lui ou elle, pas trop pour ne pas te sentir devenir un de ces vieux isolés qui trouvent là le seul événement de leur journée, saluer, sortir, si donc tu continues à en rester à ce mode archaïque de règlement, tu as fini par accepter que son emploi soit supprimé.
Puisque, il y a très de trois ans, Monoprix a ouvert une annexe « alimentation » au sous-sol de l’immeuble voisin de sa boutique principale, puisque tu l’as testée un peu après l’ouverture pour voir si elle proposait des produits sortant un peu des marques « grande distribution » passant par des centrales d’achat, constatant alors qu’il n’y avait plus de caissière mais des machines enregistreuses à faire fonctionner soi-même… ce que tu t’es refusée à faire, appelant une silhouette surveilleuse qui a enregistré tes quatre yaourts et que tu a décidé de ne pas à y retourner, un peu parce que faire faire des économies à la marque en assumant le travail t’indispose, surtout parce que le boulot de caissière n’est pas très bien payé sans doute et maintient les employés dans la catégorie « invisibles » mais « c’en est un et c’est toujours mieux que rien », on peut le faire avec soin, pour se valoriser à ses propres yeux, ce que tu te disais autrefois en des temps similaires. Et puis dans le magasin principal ces caisses ont été installées pour ceux qui le désiraient, tu as refusé longtemps… constatant au fil des mois et années que, quelle que soir la longueur de la queue devant les caisses « avec caissière », cela n’entrainait aucune embauche tu as fini par céder et maintenant tu descends parce que tu trouves quelques produits un peu plus sophistiqués, pas forcément plus chers ni meilleurs mais différents et que l’ambiance devant la batterie de caisses, avec les acheteurs s’aidant , s’engueulant parfois par impatience devant un lambin ou une empotée | mais c’est extrêmement rare et cela vaut au protestataire, personnage arrogant ou type aviné, d’être le point focal de regards méprisants ou agacés | l’employé intervenant pour aider, les petites plaisanteries, les bugs, les petites vieilles qui viennent pour le plaisir de le voir s’intéresser à leur sort et accomplir tous les gestes qu’elles se disent incapables de faire, ta petite colère surjouée quand il tente d’en faire autant pour toi et le rite de son rire en réponse, cela rend la corvée achat pas si désagréable… et tant pis si, oui, tu devrais trouver un peu misérable de prendre même un semblant de plaisir à ce qui est ou apparait sans doute comme un ersatz de sociabilité, il suffit de le prendre avec le sourire et ce que tu peux y mettre de grâce, exactement comme le fait l’employé pour que ce soit supportable.
« il suffit de le prendre avec le sourire et ce que tu peux y mettre de grâce, exactement comme le fait l’employé pour que ce soit supportable. «
beaucoup de grâce dans ce texte entre ce murmure intérieur et le regard sur le monde qui l’entoure.
merci Françoise
Oh, mais oui Françoise, j’ai relevé exactement cette phrase là, toute de subtilité et de délicatesse
merci… là moi j’abandonne les caisses – ai un peu le tournis de tant de marchandises dans les textes 🙂
fine étude sociologique
(bien vu les jeunes qui mangent leur sandwich ou leur paquet de petits gâteaux assis sur une borne devant l’hôtel de ville)
et tout ce lot de résignation qui finit par nous atteindre, de petites choses qu’au bout du compte on concède….
merci – oui malgré mon amour pour le mot NON
« pas trop pour ne pas te sentir devenir un de ces vieux isolés qui trouvent là le seul événement de leur journée ». Vous m’avez donc croisé dans ce Monop ? Demain j’y retourne. Dites moi à quelle heure. Merci Brigitte.
je vous ai fait un petit signe entre « collègues » comme on dit ici ou sur la côte, mais vous ne m’avez pas vue.