Auchan, rejoindre l’allée centrale de l’hypermarché direction le rayon du prêt à porter. S’arrêter devant les jeans 501, les plus chers du magasin. Attraper le premier de la pile sans prêter attention ni à la couleur ni à la taille puisque ce n’est pas pour porter. Poser le jean sur le tapis roulant de la caisse, 100 balles. Sortir la carte bleue à paiement différé, payer, récupérer le ticket de caisse, traverser la galerie marchande pour rejoindre la voiture et de rond-points en rond-points rentrer à la maison. Poser le jean dans l’entrée, le ticket rangé dans la poche arrière du pantalon. Besoin de cash ? Il suffit de refaire le chemin en sens inverse. De rond-points en rond-points, arriver au parking du centre commercial, se garer, rejoindre Auchan par la galerie marchande, se rendre au point d’accueil situé sur la droite face aux caisses 1, 2, 3. Attendre son tour : yaourts périmés, jouet électronique défaillant, vaisselle ébréchée… rendre le jean. Après le bonjour réglementaire l’hôtesse d’accueil vérifie étiquettes, ticket de caisse, pose le jean dans une corbeille en plastique, près des yaourts périmés, du jouet défaillant, de la vaisselle ébréchée. Sur un carnet elle coche la bonne case : trop petit ou trop grand ou mal coupé… ouvre le tiroir-caisse, compte les billets : 100 balles, du liquide, du cash obtenu en paiement différé qui permettra de tenir jusqu’au mois prochain, sans crainte de dépasser le plafond du découvert autorisé. La vie à crédit.
Elle se glisse hors du chariot, petite fille acrobate. Ses couettes blondes rebondissent tandis qu’elle galope jusqu’aux portants du rayon femmes du magasin Auchan. Elle se cache sous les vêtements, grappille les petites boules de couleur 36 bleu, 38 jaune, 40 rose, 42 orange, 44 vert, 46 violet enfilés sur les crochets métalliques des cintres. Elle en remplit ses poches à ras bord. Passage à la caisse, assise sagement dans le siège du chariot, couettes blondes au repos, elle accueille en rosissant de plaisir le sourire de la caissière : Mais que tu es mignonne ! Puis le caddie rejoint la voiture sur le parking. Tandis que les adultes chargent les courses dans le coffre, elle s’installe sur le réhausseur, boucle sa ceinture et dans ses poches les boules de couleur font un bruit de grelots.
Regarde comme c’est pratique ! Par la fenêtre de son nouvel appartement elle me montre au loin le bloc de béton gris surplombé du mot AUCHAN écrit en lettres lumineuses. Elle rit : la nuit c’est ma guirlande de noël et ici c’est noël 365 jours par an ! Au pied de l’immeuble un canal parallèle à la route qui mène au centre commercial. L’eau boueuse laisse entrevoir quelques carcasses de caddies rouillés avec leurs poignées en plastique rouge et blanc marquées Auchan qui flottent au milieu des déchets. Elle a sorti du placard l’emballage d’un petit canoë gonflable jaune, poids maximum autorisé 50kg, qu’elle extirpe du carton. Elle souffle dans l’embout, le canoë se gonfle et prend forme. Elle s’en saisit, le met sous son bras, sort le l’immeuble, gagne le bord du canal, le pose sur l’eau grise et par la fenêtre me fait de grands signes avec ses mini pagaies : Tu m’attends ? Je vais chercher du café chez Auchan et je reviens.
C’est la période des fêtes, les caddies débordent, difficile de circuler dans les allées. A peine arrivée elle voudrait repartir. Un animateur hurle dans son micro : 50% sur le saumon fumé pendant les 10 minutes qui viennent, quand il se tait c’est au tour des chants de noël puis du gigot d’agneau, de la bûche glacée, des chocolats Cémoi, des parfums, des volailles… Elle suit sans déroger sa liste dressée dans l’ordre des rayons en partant du fond : vin, jus de fruits, cacahuètes, lait, beurre, yaourts, œufs, crème, légumes, fruits, gâteaux secs, conserves, pâtes, riz, lentilles, fromages, charcuterie, viande, produits d’entretien. Elle trace méthodiquement de longues transversées de part et d’autre de l’allée centrale. Ne rien oublier. Tout en cochant les éléments de sa liste elle tente de s’extraire de l’atmosphère ambiante, trop de monde, trop de victuailles dans les chariots qui débordent, trop de bruit, d’énervements, de cris, trop de lumière, trop de trop. Elle soupire : il faut quand même manger, y compris pendant les fêtes. Elle termine par le rayon petits pots de bébé et couches, s’approche des caisses. Les queues n’en finissent pas, elles s’étirent entre les rayons, gênent la circulation, les gens râlent, se bousculent : vous pourriez laisser un passage, mais c’est pas moi qui pousse c’est derrière, non madame j’étais là avant vous. Elle bascule d’un pied sur l’autre, tente d’occulter le père qui hurle sur ses enfants juste devant elle, tente d’oublier le va et vient en rollers des vendeurs et vendeuses qui se faufilent entre les clients. Elle finit par calculer le temps mis par chaque personne pour accéder au paiement de ses achats, les caddies sont si pleins, parfois même deux caddies par famille, cela fait en moyenne 8 multiplié par 5 minutes égale 40 minutes. Elle secoue la tête, le malaise monte, plus d’air, des papillons noirs dansent devant ses yeux. Elle pousse le chariot dans un coin, l’abandonne et repart les mains vides.
Il faut acheter une poussette puisqu’elle est devenue trop lourde pour le porte-bébé. Direction Auchan. Au rayon puériculture 3 poussettes sont proposées. Il choisit le premier prix, installe la petite dedans. Elle rit et bat des mains. Poussette adoptée. Sa grande sœur la promène tandis qu’il s’occupe de remplir le chariot avec les courses. Arrivés à la caisse, la petite s’est endormie. Le père sort les achats de son caddie, les dépose un à un sur le tapis roulant. Il paye puis ils s’en vont. Arrivés sur le parking la petite dort encore. La grande soeur s’écrit : Mais papa, on a volé la poussette ! Le père hausse les épaules : On n’a même pas fait exprès. Par devers lui il pense, si j’avais su j’aurais choisie la poussette grand luxe plutôt que le premier prix.
Comme un documentaire distant et à l’image de ce qu’il décrit : un monde absurde.
pas très moral, mais belle revanche d’un vol malgré soi et avec regret
on embarque avec toi, on te suit dans chaque situation, et là aussi on se débrouille comme on peut entre jean mal coupé, vie à crédit, la choure de pastilles de couleur et d’une poussette (qu’on va choisir de préférence de luxe)
ben oui, tu nous as bien embarqués et c’est drôle et absurde…
On est embarqué c’est le mot (Merveilleux et terrible)… on slalome dans les rayons, les parkings, les carrefours… on monte dans le canoé miniature vers la guirlande AUCHAN ou dans la poussette… dans ce monde qui serre l’estomac il y encore des échappées .Merci!
savourer
admirer la solution du 1
rêver avec le 2 et le 3
cauchemarder avecle 4 et se sentir conforté dans sa décision de ne JAMAIS connaître cela (vivent les petites boutiques à cette époque de l’année pour les cadeaux… même à la mode c’est moins l’enfer)
et sourire à la dernière (se dire que ce n’est pas possible malheureusement ou le craindre et imaginer l’intervention du vigile et la honte ahurie du père)