Marchez d’un bon pas, prenez l’espace, soyez précis dans vos changements de direction, choisissez un point fixe au lointain, tracez votre chemin. Maintenant, regardez-vous quand vous marchez : grandes ou petites enjambées ? buste incliné vers l’avant, l’arrière ou colonne vertébrale alignée ? quel équilibre ? quel déséquilibre ? quel moteur ? quelle partie du corps vous propulse, vous retient ? vos pieds, comment attaquent-ils le sol ? par la pointe, le talon, à plat ? Ils frappent ? ils glissent ? ils frôlent ? ils s’écrasent ? comment ça se déplie ou pas dans vos chaussures ? vos genoux ? restent-ils fléchis ? se tendent-ils ? rebondissent-ils ? votre bassin ? que fait votre bassin ? il bascule vers l’avant ? l’arrière ? il chaloupe ? corps déhanché ou fixe ? votre dos, droit ou cambré ? votre buste, poitrine sortie ou rentrée ? cotes ouvertes ou haut du dos arrondi ? vos épaules ? est-ce qu’elles s’ouvrent, se ferment ? que font vos bras ? ils se balancent en opposition à vos jambes ou pas ? sur quelle amplitude ? dans quel état, tendus, relâchés ? restent-ils fixes ? quel niveau de tension dans l’articulation des coudes, poignets, jusqu’au bout des doigts ? Votre cou, pensez à votre cou, est-il aligné sur le reste du corps ou déporté ? où se trouve votre tête quand vous marchez ? devant ? derrière ? quelle est la position de votre menton ? baissé ? relevé ? stable ? Continuez de vous regarder marcher. Vous allez à présent ajouter quelques cm de plus au mouvement de vos pieds, jambes, bassin, buste, épaules, bras, cou, tête, juste quelques cm, un peu plus d’avant, d’arrière, de droite, de gauche, d’ouvert, de fermé, de balancé, de tendu, de relâché. Voilà le personnage.
elle ne marche pas elle frappe le sol de ses talons genoux déverrouillés jetés vers l’avant ils claquent et reviennent la vigueur de son corps ne tient que par cette mécanique des jambes qui battent le vide tandis que le buste s’écrase que les épaules se ferment que les bras pendent que la tête s’incline
avec quelques cm de plus elle devient cette bête furieuse au corps coupé en deux une coléreuse meurtrie qui traverse le monde à coups de pieds rageurs
elle ne marche pas elle glisse genoux fléchis les pieds posés à plat pèsent de tout leur poids bassin basculé vers l’avant ventre creux les bras tenus se balancent poings fermés la nuque se décroche vers l’horizon le regard se tend
avec quelques cm de plus elle avale l’espace son bassin fait moteur et au fur et à mesure qu’elle progresse rien ne résiste elle aplatit le sol sous ses pieds
elle ne marche pas elle rebondit elle déplie chaque partie du pied jusqu’au bout des orteils chaque pas est une surprise qui la jette vers le haut les bras libérés dessinent des arabesques la tête ballote
avec quelques cm de plus elle est ce chien fou cabriolant cette énergie vivante qui pulse joyeuse elle devient les premières fois d’une enfant qui gambade
elle ne marche pas elle danse corps léger sur la pointe des pieds menton levé jambes qui dessinent une ligne parfaite le bassin bat la mesure elle chaloupe sa silhouette s’allonge les bras s’arrondissent jusqu’au bout des doigts ouverts en éventail
avec quelques centimètres de plus elle devient plus légère encore son corps élastique s’étire à la verticale et plus elle avance plus elle grandit
elle ne marche pas elle trace le bras droit suit le pied droit le bras gauche le pied gauche à grandes enjambées massives elle avance les pieds frappent le sol les épaules et le bassin suivent la cadence démarche mécanique et butée tête vissée au cou les épaules remontent
avec quelques cm de plus elle est cette machine de guerre ce corps dichotomique que rien n’arrête et qui tranche le monde en deux
Quelle belle énergie dans la langue, comme elle propulse ! Et ses phrases sans ponctuation donnent tout l’élan au corps.
merci Nathalie ! en fait l’absence de ponctuation je ne savais pas trop comment faire avec.
Il faut bien qu’elle avance – on disait quoi force et solidarité ? Femme vue liberté ? Ensemble oui
😉
un sourire (crispé p
un sourire (crispé par des souvenirs) en lisant l’étourdissante liste de questions décomposant l marche quand on veut l’analyser…
et un sourire où le plaisir rejoint l’admiration avec la série de « marches »
Merci Brigitte, je suis touchée, je ne savais pas trop où j’allais, un comble pour un texte sur la marche !
belles analyses de types marches
impossible de ne pas tenter de situer la sienne
rien ne l’arrête, la ponctuation était superflue
Merci Huguette pour ce retour. C’est théâtral au départ, partir de sa propre démarche et avec quelques cm de plus construire un personnage. Effectivement comment ne pas penser à sa propre façon de marcher 😉