Écrire est un geste. Écrire se fait avec les mains, écrire est logiquement un travail manuel. Main, manuel, voilà.
C’était hier soir, au coin d’un bar bruyant, vous aviez bien levé le coude avant d’en arriver à cette conclusion et de vous séparer sur cette phrase décisive. Écrire est un geste, comme raboter, scier, assembler, poncer, dégauchir … Au début on est maladroits, on scie en biais ou en éclair, les lettres penchent, elles sont petites ou trop grosses, irrégulières et chaotiques. Les ronds ne sont pas ronds et les barres toutes tordues. On fatigue vite. Crampes, ampoules. Crispé sur le crayon ou sur le manche de l’outil. On tire la langue, on regarde ça de plus près jusqu’à en oublier que le monde est encore là, vivant, juste à côté. Et puis on persévère on s’entraîne, on se détend on prend de l’assurance. Une pause et on oublie, il faut tout reconstruire. Mais la reconstruction est quand même plus rapide que la première construction. Et puis avec le temps, les pauses n’y changent plus rien on reprend sans problèmes et sans hésitations. Et puis vient le clavier et il faut réapprendre, un outil qu’on ne tient pas qu’on ne prend pas dans la main, qui ne tombera pas si on desserre la prise, puisqu’il n’y a pas de prise, une chose qu’on n’attrape pas, qu’on ne peut pas lâcher. Commencer à deux doigts et chercher la bonne touche toujours enlever la main pour voir tout le clavier et chercher le y en faisant toutes les lignes d’un regard agacé et puis recommencer parce qu’on l’aura passé sans même le voir passer. Alors on se décidera à apprendre proprement, à caler sous les doigts les deux petites barres pour le f et le j. f pour l’index gauche, j pour l’index droit. Chaque touche aura son doigt, mais pour chacun des doigts il y aura plusieurs touches. Changer de ligne parfois, mais revenir aux repères et ne pas regarder ne jamais regarder pour que ça devienne réflexe. Et refaire les mouvements pour qu’ils trouvent leur place et s’installent dans le corps pour ne plus le quitter même après une longue pause, pour que, sans y avoir pensé, on voit le coude s’écarter pour que l’auriculaire remonte jusqu’au à. Une fois formé le couple de la touche et du doigt, ne pas les séparer, les laisser vivre ensemble et les emmener faire de longues promenades pour les faire amoureux, indissociables, inséparables. Alors la tête pourra revenir à son travail de ne penser qu’aux mots et ne plus penser du tout à s’occuper des couples qui vivent heureux et libres en s’effleurant doucement dans une danse parfaite orchestrée par les notes émises par le clavier qui joue sa petite musique
La scie et la touche… En jouant sur l’orthographe et sur le sens, on pourrait y entendre de la musique mais ça parle crampes et ampoules… comme parfois quand on fait de la musique à forte dose ! Merci pour cette double invitation qui se rejoint finalement à voir écrire autrement !
Merci ! oui, le clavier, un outil qu’on n’empoigne pas… Une troisième voie ?
ah ah les dures lois et la mécanique de l’apprentissage !
oui mais une fois qu’on l’a, on peut faire ce qu’on veut… et c’est là –sans doute — où le geste d’écrire commence…
Maitriser le geste pour mieux l’oublier…
C’est bien de parler mécanique, surtout après deux ou trois verres, la mécanique c’est ce qui fait que tu comprends quand tu relis tes notes le lendemain à jeun.
Toujours relire le lendemain à jeun, quand on est moins ivre de vin, de poésie ou de vertu, à notre guise 😉