Écrire comme geste de plume : elle se propulse et tremble – un petit bout de langue couleur fraise pointe entre les dents; plume au poing ou clampée à trois doigts; elle trébuche, se relève, s’étonne
Écrire comme apprendre à marcher avec la main : alphabet « bâton », ou lettres attachées obliquant boucles sur boucles. Pattes de mouche ou pattes de géant cul par-dessus tête excédant la frontière de papier
Écrire comme habiter l’instant et le silence de neige : sous le caoutchouc de la nappe le molleton; un terrain meuble et crever le papier avec la pointe du crayon
Écrire comme geste de copiste; A, P, M, et N pour modèles puis ton nom.
Ecrire et se surprendre en lettres : Nabuchodonosor et Chéhérazade, quand Lili ou Ben… ( d’où l’importance des noms dans la difficulté du programme)
Elle écrit papa avec des nouilles; il est haut comme trois O E P M S, cette pomme sans couleur et sans goût qui se découvre en écriture
Écrire comme découvrir l’écart entre le nom et la chose
Ecrire et découvrir la magie du mot
Ecrire comme lire et reproduire sans comprendre. Ecrire pour lire et comprendre : comme j’écris je lis, ou bien c’est l’inverse
( parfois armé de ciseaux, découper des lettres de réclame ou s’attaquer aux pages d’un livre oublié sur la table; écrire et comprendre que si A = A , A et A n’ a pas toujours même valeur)
Écrire comme mimer ; se conformer et pourtant se montrer : ta graphie et celle de l’autre en ressemblance, et pourtant…
Façons de former les lettres et d’occuper la page
Ecriture timide ou conquérante, lettres gauches ou tonitruante
Ecrire comme un visage de soi sans visage.
Ecrire comme signature, empreinte : à côté du téléphone les enveloppes découpées ou elle notait la liste des choses à faire ; dans le livre de recette les fiches de sa belle écriture à l’ancienne ; une écriture régulière et qui va droit même sans lignes, ses lettres ciselée qui dénotent l’apprentissage d’une autre époque, pourtant la retrouver elle dans la boucle d’un L , la deviner dans cet accent circonflexe: comme un parfum de peau dans le col fourré du manteau d’hiver, persiste malgré la naphtaline
…premiers cahier de lettres rondes et pleines, ton écriture adolescente en rupture; ton écriture qui s’accélère et penche : barres de T en traits de flèche; puis cette impression que la main se dérobe, avec le temps ta graphie qui s’effiloche
Ecrire à la main et dénoter un âge, une époque, (une maladie peut-être) : ses mots devenus minuscules illisibles et tremblants
Écrire laisser trace
Ecrire de droite à gauche en miroir de plus en plus vite par jeu se relire de gauche à droite en transparence
Ecrire comme dessiner, lire comme regarder
Ecrire en geste d’amour ; s’efforcer à retenir le stylo, ralentir les mots affolés de désir : qu’ils se conforment à la lecture; écrire, l’imaginer récrire la lettre avec ses yeux
Ecrire de fausses lettres, parchemin de théâtre, leurre de lettres : Ouvrez… lisez ! … « Roxane, adieu, je vais mourir ! », « Tout haut ? », « C’est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée ! « …Comme vous la lisez, Sa lettre ! »
Récrire à la main cette page d’un livre, faire passer ce poème de la main à la tête ; mémoriser par le geste d’écrire
Écrire, dans la buée, au caillou sur le mur; écrire enfer et paradis sur le béton avec la craie; écrire dans le sable avec un bâton; au talon dans la terre; écrire avec son sang sur la peau de l’autre : écrire comme sceller un pacte
Ecrire comme taper : un, deux , trois ou dix doigts écrire au clavier comme sortir de soi (en lettres) : « objectiver »
Ecrire avec la voix, dicter à son téléphone cette pensée volatile
Écrire sans écriture
Écrire en marchant dans sa tête
Ecrire avec la voix : tout le récit de sa déportation il l’avait d’abord « écrit » au dictaphone
Écrire en rêve comme voler puis tout perdre
Écrire : fixer. Figer. Faire passer; apprendre, conserver et perdre
Écrire comme cette pensée s’incarnant se risque à mourir
J’aime beaucoup ce voyage. « Écrire en rêve comme voler puis tout perdre ». J’aime beaucoup me perdre. Merci.
Magiciennes écritures. Merci Nathalie.
Ecrire comme habiter l’instant, Ecrire comme laisser trace…cette litanie d' »écrire » qui fait poème…Et moi, je suis bien contente de nos échanges. Bon après-midi !
Précieux échanges , merci stephanie.
écrire comme chanter
écrire comme dessiner
et lire comme rêver
premiers cahiers et écritures à l’ancienne qui nous parlent à tous…
et je retiens le rêve et la perte
merci Nat
Quel beau texte ! Cette série des « écrire comme » (apprendre à marcher, habiter), ouvre autant d’images aux dimensions de l’écriture, et j’ai aimé qu’elle s’arrête, ne soit pas systématique, mais revienne plus loin dans le texte.
La fameuse pomme sans couleur et sans goût. Voilà bien attrapé le paradoxe de l’affaire ! Et puis les fausses lettres… Les lettres de théâtres, même avec tous les mots, incrédibles, forcément accessoires, seul existe leur effet sur le visage du personnage… Merci, j’avais oublié ces lettres-là…
« L’effet sur le visage du personnage » Ah oui , merci Emmanuelle . J’ai beaucoup aimé les fabriquer ses lettres leurre, souvent marouflée sur de fines gazes; parce qu’à être pliées et dépliées chaque soir elles s’abîmaient
Jean- Luc, Ugo, Brigitte , Françoise merci de vos passages