Le verbe «graphein» en grec qui pourrait se rapprocher phonétiquement de graver : la ligne, le dessin d’un mot, une suite iconographique que l’on nommera phrase, l’œil et la main à l’œuvre, peut importe le but, noble ou trivial qui eux viennent de la tête ensuite. On grave pour se souvenir du nombre de moutons, de brebis, pour se souvenir du nom de celui qui est allongé dans la tombe ( grave en anglais) On a marqué l’endroit de celle ou celui qui se trouve à l’envers du monde, au-delà. Dans l’ ICI-Gît.
La plupart du temps, il s’agit de laisser venir quelque chose puis, le voyant passer, l’écrire, pour se dire je vais peut-être ainsi m’en souvenir, ou dire à quelqu’un j’ai vu passer quelque chose, c’est peut-être un lapin, une tourterelle, deux amoureux, un assassin, une vipère cornue, une automobile de luxe, un clown sur un vélocipède, un ministre en tutu rose. Mais cette chose bien qu’on veuille l’attraper, (d’où le geste) le grattage de fox terrier dans la terre meuble du clavier, de la page, de l’idée,« ça se carapate », se cache dans les pages d’un dictionnaire, dans le fait de se rassurer énormément à le voir là, immobile et « noir sur blanc» . J’ai vu passer un lapin blanc très affairé, je lui ai demandé l’heure il m’a envoyé bouler. Le geste se froisse, se recroqueville dans des mots mono ou duo syllabiques : con connard salaud crétin. De là l’expression lapin crétin, sûrement.
Attraper le porte-plume, pas de marque, pas de différence, on a tous les mêmes plus des plumes et ( évite le côté vieux combattant, Sergent-Major) et de l’encre dans un encrier qui est violette. On trempe la plume dans l’encrier et on fait attention de ne pas tâcher la feuille lignée du cahier. On trace une lettre en tirant la langue et puis pour faire sécher on peut utiliser un buvard qui boit comme un trou l’encre comme l’ami Pierrot boit du pinard. On a le droit d’écrire à partir de la ligne rouge à gauche. Avant non, c’est une partie réservée à la maîtresse, au maître pour faire des commentaires, mettre une note, on connaît pas encore les likes à ce moment là.
La lettre la plus difficile à écrire à la plume est dans doute le
s
chez moi, il manque souvent la barre oblique, la petite pente pour parvenir au sommet du s. Il parait que c’est un lien parental manquant de ne pas mettre d’oblique au s
S ainsi que les hommes vivent
avec tous ces serpents qui
sifflent sur leurs têtes.
Il me fallait une Remington absolument. A cause des américains. Je ne pourrai jamais être écrivain si je n’ai pas une Remington. Il me fallait une Remington. J’en trouvai une par un dimanche pluvieux de l’année 1990, au marché aux puces de la Porte de Vanves. Elle pesait le poids d’un âne mort. Je l’emportai vers mon cinquième sans ascenseur. Je la déballai comme on déballe une fille, avec pas trop de précaution quand même. J’étais si pressé. Et heureux; ça y était j’étais un écrivain américain, je possédais enfin ma Remington. Ensemble nous allions beaucoup nous aimer, nous ferions beaucoup d’enfants. Mais en fait c’était même pas vrai. Il y avait des touches qui restaient coincées, tout était rouillé. C’était une vieille machine ménopausée et stérile. Du coup j’écrivis des phrases à trou, je devins cruciverbiste, fabricant de mots mêlés et de puzzles. Le soir je la remisais dans sa boite ma Remington comme on enterre ses morts de la journée. Et le lendemain hop ! tout recommençait. J’aimais sa vieille voix éraillée, son rire de sorcière édentée. Je ne me souviens même plus où je l’ai abandonnée, dans quel taudis, quelle piaule d’hôtel dont je n’arrivais pas à payer le terme.
Les petits carnets Clairefontaine donne l’impression d’avoir beaucoup de choses à écrire à la terrasse des cafés quand il fait beau que les femmes sont belles et que toi t’es moche. Tu ouvres ton petit carnet Clairefontaine au début pour te cacher, puis tu finis par explorer tout le vide qu’il contient. A la fin du écris juste la date puis tu hèles la fille le garçon s’il te plait l’addition.
Peut-être que c’est plus facile dans un parc, assit sur un banc public. Tu sors ton petit carnet Clairefontaine ( reliure en tissu, ça ne se fait plus ) et petits carreaux attention, ton feutre à pointe fine. Tu retombes sur la date du jour et un gamin passe en te regardant comme si tu étais une statue. Tu ne bouge pas tu attends que ça se passe. Tu ne respires même pas. Ouf ça y est tu es redevenu invisible. toi tu vois tout mais personne ne te voit. ça offre quelques avantages, et presque aucun inconvénient. D’ailleurs, qu’est ce que tu attends pour l’écrire sur ton petit carnet Clairefontaine.
Des fois sur mon carnet, je n’ai pas d’idée, juste des numéros de téléphone que je note quand ça tombe ( grave ). Ou des adresses de boites d’intérim. Cercueils de ma jeunesse dissipée. Ou encore la somme que je dois à la banque. Des calculs à n’en plus finir, Perrette et le pot au lait, bien compliqués. Des serpents qui se mordent la queue. Ou encore je dessine des vieilles femmes qui promènent des petits chiens. Très excitant. Mais le plus souvent je gribouille, toute une intrications de lignes, un sac de nœuds. Pas conservé grand-chose de tout ça. C’est que ça n’en valait pas le coup. Pas la peine de le regretter.
J’ai essayé une fois le fameux stylo plume. Mais pas assez soigneux, ses cartouches se vidaient au fond de mes poches. Et puis pas assez patient non plus pour que la plume se fasse, et une fois faite catastrophe: je l’écrabouillais quand je l’oubliais dans la poche arrière de mes jeans. Crac ! Prends donc le bus avec de l’encre plein les fesses ensuite.
Aujourd’hui j’écris sur l’éditeur de wordpress le plus souvent. Mon nouveau blog n’est pas meilleur que le précédent. Le prochain ne sera sans doute pas ça non plus. Mais je m’en fous. Ecrire c’est comme manger c’est le seul plaisir qu’il nous reste quand tous les autres nous ont abandonné. Ce n’est pas de moi, évidemment, c’est du détourné, du Brillat-Savarin. Donc je tape sur un clavier plus silencieusement plus souplement qu’autrefois sur ma Remington. Le geste d’écrire m’est nécessaire, comme d’autres ont besoin de faire un footing, moi j’ai besoin de me dégourdir les doigts. Est ce que ce que j’écris est littéraire, aucune idée. Et à vrai dire je m’en fous.
Ado j’aurais voulu moi aussi être musicien, je grattais les cordes de cette guitare pour laquelle j’avais sué tout un été. Peut-être que gratter est une chose profondément humaine, ça ne nous distingue que très peu du chien ou de la taupe dans le fond. Sauf que nous grattons souvent à côté, dans une irréalité extraordinaire des choses absconses, fumeuses, on appelle ça la culture parfois. On gratte ainsi les choses comme de vieilles croutes aux genoux pour raviver la douleur de peur de devenir fantôme comme elle devenue fantôme. On ne peut pas y faire grand chose. C’est comme ça.
plaisir de lire de boutenbout, merci
Oui, intéressant de bout en bout. Un peu de mal à imaginer que le carnet reste vide au vu de ce qui s’écrit ici abondamment. 🙂 Adoré l’histoire de la Remington, à elle seule pourrait faire tout un livre, et pourquoi pas écrire carrément un morceau de texte avec les particularités de la machine qui bloque et interdit certaines lettres. Merci, Patrick. Et le second paragraphe aussi, j’aime la façon dont ça coule, très beau.
Tout nos subterfuges pour parvenir à écrire, carnets, stylo plume, Remington…moi aussi j’ai apprécié le passage sur cette dernière et l’écriture trouée.
J’adore le paragraphe qui commence par « Il me fallait une Remington absolument…. », et le suivant avec le petit carnet Clairefontaine.
La mienne ne s’appelait pas Remington, et je ne me souviens plus du nom qu’elle portait. Quelle infidélité de la mémoire pour cette machine tant aimée, que j’ai portée aussi, et qui portait mes rêves… et comment est-ce possible (moi aussi) d’avoir oublié où je l’ai oubliée pour un outil plus neuf ?