J’ai plaisir à tenter de retrouver ce sentiment que j’avais quand, gosse du côté de Bordeaux, il pleuvait, pleuvait ça pouvait durer des heures, des jours. Dehors c’était un monde d’ailleurs, aquatique, de cordes humides qui liaient le ciel trop plein d’anges aux ronds dans l’eau des flaques. Dedans, un monde sec de chocolat chaud, de douce solitude, d’oranges sanguines d’au-delà des nuages. Les mots y étaient ceux de lectures sans importance, aventures peu périlleuses, capitaine Nemo de salon, nautilus capitonné et ceux de la banalité des après repas dominicaux, nous vivions avec entrain l’ennui autorisé des dimanches après-midi. Quand elle est entrée venant de la pluie, qu’elle a soulevé la capuche de son ciré jaune, son visage a tout de suite dit que notre calme n’était pas le sien, pas de regard angélique, l’eau n’y était pas de pluie douce, plutôt de larmes au-delà de la douleur, on en aurait dit torture, celle qui dit l’incompréhension, le désarroi. Dans leur chambre, à l’étage, la télé avait brillé en silence toute la nuit, y passait en boucle et en noir et blanc l’horreur en direct de Sarajevo et de Srebrenica, elle ne s’y était pas attardée, sa douleur lui suffisait. Quand elle est entrée, elle n’a pas dit un mot mais le hurlement rentré de sa vengeance avançait à pas lent, envahissait la pièce, elle est restée immobile, debout, l’eau coulait de son ciré, créant autour d’elle ce que trimbale un corps meurtri par la violence de la trahison, de l’infidélité. De fureur animale, elle s’est sentie, c’est sûr, Médée, mais elle n’a enfant à tuer ni envie de mourir. Si quelqu’un doit mourir, ce n’est pas elle, elle se sait mieux vivante que morte. Lui, il s’est redressé, la douce nonchalance l’a quitté, comment a-t-elle su ? il n’a rien dit, de mensonges en approximations il avait tout fait pour cacher, rester discret, que rien ne se sache et sa lâcheté lui saute au visage là devant tout le monde. Il n’a rien prévu, il s’était dit que les mots viendraient tout seuls mais ils ne viennent pas, il ne sait pas ce qu’elle sait, il laisse venir. S’essayant à un peu moins de couardise, il esquisse une excuse.
Ta gueule salaud tu sais pas comme tu me fais souffrir dans quel état tu me mets toi me faire ça va la revoir ta pute barre toi je me casse adieu connard
Vertigineux ton escalier du capitonné au connard, on était si bien dans la première partie de ton texte…
Merci Juliette. Apparemment, même ici, la vie n’est pas un long fleuve tranquille.
Le drame qui pointe là a des accents de comédie. Tu t’y montres particulièrement à l’aise — comme tu prends le temps de nous y installer… et puis le surgissement de cette statue de larmes (on imagine dessous tapis ou parquet qui prennent cher)
Merci Christophe. Elle est belle ta statue de larmes.
ça donne envie de faire un « quatre mains », comme au piano, avec toutes les dissonances…j’entends d’ici les désaccords…
Je l’entends d’ici le piano devant la Loire sous la pluie. Merci Alexia.
Ce qu’il ne sait pas encore c’est qu’il avait tout fait pour que ça se sache malgré lui. La capuche mouillée de pluie . L’irruption du jaune dans le flux des images de guerre noires et blanches.
Ah, c’est beau cette tache jaune, je l’avais à peine vue. Merci Nathalie.