#gestes&usages #07 | Votre soirée

Vous devez arriver en retard, une heure minimum, voire arriver à la presque fin, après la réfection, mais avant l’ébriété générale, on pensera, cet homme est occupé, cet homme était à une autre soirée, il nous fait l’honneur de sa présence Décontracté, arrivez comme sur le point de repartir, comme pour faire plaisir, le téléphone à la main, on vous en sera reconnaissant, conseil réservé toutefois aux expérimentés deviens la meilleure version de toi-même Sinon, une heure minimum, car arrivent en avance ceux que vous devrez éviter, les anxieux, les débutants, les pots-de-colle, vos subalternes, les sous-traitants Vous devez sourire, cela va de soi, mais ne montrez pas vos dents, ne vous esclaffez pas, soyez ironique, soyez bienveillant deviens la meilleure version de toi-même Vous devez laisser croire à votre interlocuteur que vous pensez plus loin et plus juste que lui, tout doit vous paraître suspect, laissez entendre qu’on vous informe, que, bien sûr, vous ne pouvez pas tout dire, que, bien entendu, vous respectez le secret de vos sources, haut placées Lâchez un nom, mais plutôt au détour d’une conversation banale, avec naturel, c’est un ami, vos femmes vont à la salle ensemble deviens la meilleure version de toi-même  Vous veillerez, au bar, à ne jamais attendre Si personne n’est là pour vous servir, n’hésitez jamais Servez-vous d’autorité, mais évitez les alcools forts au premier verre, on se dira, il prend soin de lui, il est à contre-courant, il n’a pas besoin de ça Un jus de fruit voilà ce qu’il vous faut, mais avec le sourire entendu de celui qui va se prendre une murge quand il l’aura décidé deviens la meilleure version de toi-même Dès le premier engagement verbale sérieux, quel que soit le sujet, posez une main sur l’avant-bras de votre interlocuteur, coupez lui la parole, laisser peser votre main, reformuler, approfondissez, créer la connivence tout en laissant croire que vous en savez davantage Si vous manquez d’arguments valables, niez en bloc, inscrivez-vous en faux avec assurance et souriez franchement, votre interlocuteur se sentira admis dans le secret des dieux, restez flou, qu’il n’y repense plus le lendemain mais se souvienne du poids de votre main sur son avant-bras deviens la meilleure version de toi-même Si vous devez partager un repas, visualisez à l’avance votre plan de table, hors de question de faire la queue devant le buffet, trainez au bar si nécessaire, mais n’attendez pas d’avoir à finir les restes Avant de poser votre assiette repérez votre cible, par défaut vos pairs, si possible le client, le politique, l’influenceur, la clef qui manque à votre trousseau, et faites en sorte qu’il vous invite à sa table Pour cela, entrez par la petite porte, souvent le sport, est-il plutôt foot ou rugby, connaissez les derniers résultats, fait-il de la plongée, joue-t-il au golf, avez-vous un pays en commun, attendez qu’il vous tende sa carte, l’erreur serait de donner la vôtre en premier, puis reconnaissez quelqu’un dans la foule, brisez le lien deviens la meilleure version de toi-même Attention, ménagez les loosers utiles, les anciens, les excentriques, les artistes, les sportifs, les enseignants, tous inutiles, mais appréciés Ne vous laissez pas déstabiliser, jamais, au besoin isolez-vous avec eux en tête à tête, mais à la vue de tous, recueillez-vous, visage introspectif, laissez-vous éclairer, buvez leurs paroles, puis délicatement coupez court non sans avoir évoqué un possible mécénat, au besoin sortez votre téléphone, et retrouvez vos pairs, les yeux humides, le regard inspiré, noyez cela dans un rire conviviale deviens la meilleure version de toi-même Maintenant picolez si l’ambiance s’y prête Ne perdez pas le contrôle, ne montrez pas vos dents, encouragez les autres à s’exposer, soyez bon camarade, ne vous livrez pas, jamais, privilégiez les anecdotes, trouvez l’idiot utile, un concurrent si possible, poussez-le au ridicule : effusion, confidence, esprit de sérieux, monologue, débraillement, sueur Échangez un regard gêné avec votre cible principale, mais discrètement, sans être dans le jugement Lorsqu’elle sera partie, prenez-soin du débris, proposez de le ramener, qu’il vous soit reconnaissant deviens la meilleure version de toi-même De retour chez vous, baisez votre femme, faites-vous baiser par elle, mordez-vous, insultez-vous, giflez-vous, piétinez-vous, annihilez-vous, procédez au reset complet Vous êtes une merde  Vous êtes une serpillère Rampez Gémissez Suppliez Endormez-vous dans les odeurs de vos corps. Renaissez à vous-même.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).

Un commentaire à propos de “#gestes&usages #07 | Votre soirée”

  1. Je perçois un petit problème de musicalité à mon oreille, comme un peu de gras. Il manque peut-être une forme de cassure à chaque début de séquence. Le « vous devez » transformé peut-être en impératif ou alors en temps présent, pour marteler. Vous devez arriver en retard => Soyez en retard ou vous êtes en retard. Et cette même forme répétée sur les autres séquences qui résonnerait avec « deviens la meilleure version » et peut-être donnerait une tension plus forte au texte. D’autres basculements au présent peut-être amèneraient à entrer dans la scène. »votre interlocuteur se sentira admis » => « votre interlocuteur se sent admis ». J’aurais viré des trucs pour être plus cryptique (mais c’est ma marotte aussi). « restez flou, qu’il n’y repense plus le lendemain mais se souvienne du poids de votre main sur son avant-bras » => « restez flou, qu’il se souvienne du poids de votre main sur son avant-bras »