Auxerre – Leclerc juin 2021
Il y a un air de renouveau. La fin des confinements qui s’aligne sur l’arrivée du printemps, le souvenir du printemps précédent qu’on n’a pas connu, enfermés dans nos réduits et la possibilité enfin de sortir faire nos courses en se frôlant, en se bousculant même si l’on reste méfiante, même si l’on garde malgré tout cette petite tension tout au fond, ce traumatisme insidieux de l’isolement forcé qui d’une étincelle, une mauvaise humeur, une micro colère mal placée peut s’embraser et créer le drame sur la voie publique. Dans ce bord de ville anciennement bourgeoise, dépeuplée, à peine trop éloignée de la capitale, qui a gardé du passé sa tradition ouvrière vigneronne doublée de ses évidentes dérives, se cultive une certaine pauvreté à laquelle se mêle celle de personnes récemment arrivées en France reléguées dans les mêmes dortoirs en marge de cette lointaine banlieue parisienne. La pauvreté n’est certes pas joyeuse en soi, mais sous bien des aspects elle tranche, elle fait le tri et rend une présence dans l’instant vital peut être plus intense au nom de l’oubli des lendemains douteux. Et cette intensité est à son paroxysme dans les rayons du Leclerc ce vendredi soir. Il n’y a pas grand-chose à faire à Auxerre quand la bourse est légère. La sortie aux courses est essentielle. On s’y retrouve, on y va à trois ou quatre, on connaît tout le monde sans vraiment connaître personne mais on pourra toujours y échanger quelques nouvelles de la rue du Pont, du dernier match de l’AJA, de la puanteur des tours, des travaux au conservatoire, du prix des pâtes, de l’état des vignes, des gelées de mai et du menu du jour au bar de l’auto où l’on ira peut-être s’autoriser à boire un godet ensemble avant de rentrer. Faut voir si les aides sont tombées et le prix des courses. Les bips des caisses sont inaudibles derrière les bruits de sachets et de packs qui s’étalent en monticule sur le tapis, les bavardages avec l’autre en bout de file, avec la caissière qui s’active, qu’on voit toutes les semaines et qu’à force, on aurait envie d’inviter à boire un verre. On regarde ce qu’achète le voisin de file, on lui livre un conseil de cuisson, une recette rapide sous le regard tendu des plus âgés coincés dans cette trop brutale populace hésitant encore entre l’angoisse du virus et la joie de retrouver des vies. Une caissière lève la voix contre une cliente qui bip au portillon et nie, certains regardent et rient, d’autres lèvent les épaules et retournent à leurs discussions attendant patiemment que les payeurs avant eux comptent leur monnaie, piécette par piécette. Sur le tapis des femmes du lard, du lait et des yaourts, des couches bon marché, des boites de thon, des pâtes, sur celui des hommes de la 8.6 en 50 centilitres par deux ou quatre, des chips. Après le désert et le temps qui s’étire, retour à la même vie grouillante à la caisse des bons quartiers.