Le bruit de vos voix s’est arrêté, les oiseaux chantent et crient de l’autre côté de la vitre, un chien aboie, une tronçonneuse passe de branche en branche. Dans l’atelier, un blanc. La longueur du blanc a son importance, pour lui, un blanc de cette longueur, c’est la fin de l’échange. Il a dit le couteau, son histoire de grand-père, de pointe cassée tout net dans un genou de cochon, l’affutage sur la pierre et ensuite sur le cuir, son aiguisage parfait qui lui permet, à lui, de sculpter des chouettes sur les bâtons de marche et ce manche abîmé, fendu depuis longtemps, refait de fil de fer mais dont un des morceaux est tombé il y a des jours, la colle qui n’a pas tenu et l’embarras maintenant, parce que quand même c’est vrai que les couteaux modernes ne sont pas aussi bien, et puis pas à sa main, et puis aussi quand même, c’est le couteau du grand-père. Toi tu as dit le bois, la coupe d’abord grossière, les rivets à fixer, et puis les finitions, en premier un coup de râpe pour enlever le plus gros et ensuite le ponçage avec les grains de papier du plus petit au plus gros, le finir au 400, parce que c’est pas logique, mais c’est quand même comme ça, plus c’est fin pour le grain, plus le numéro est gros, et puis le polissage et un petit coup d’huile, pour que ça résiste à l’eau et puis un peu aussi parce que ça fait joli. Le couteau reste posé sur le bord de l’établi, autour on a tout dit, et maintenant c’est le blanc, le coup d’œil sur les murs, tous les outils rangés, l’établi en désordre et les copeaux par terre, pas de relance de ta part, on a dit l’important, le moment de partir comme il l’a toujours vu et comme il fait aussi depuis qu’il est petit. Alors il plonge la main dans la poche de son jean, farfouille un bon moment et quand il la ressort avec le poing serré sur un ou deux billets chiffonnés, mal pliés, et des pièces plutôt jaunes, la poche qui vient avec pour exhiber son vide, tissu blanc sur toile bleue.
Et je te dois combien, rien du tout t’inquiète pas, ce sera pas grand-chose, juste un petit bout de bois, j’ai une chute de noyer qui fera très bien l’affaire, et puis ça ira vite, range tes sous pour autre chose, ça me fera plaisir de le remettre en état, j’aime pas jeter les choses, mais quand même ça me gêne, moi en bas au boulot, je suis payé à l’heure alors je le sais bien que le temps c’est de l’argent, t’inquiète donc pas pour ça, je fais ce que je veux de mon temps et de mon bois et puis ça fait longtemps que j’ai plus fait de couteau, ça me remettra dans le bain, mais quand même ça me gêne, arrête avec tout ça, là c’est toi qui me gêne, allez reprend tes sous, écoute on a qu’à dire qu’un jour tu m’apprendras à siffler les oiseaux
L’outil, l’atelier, les gestes. J’aime comme tu nous emmènes au fil des textes. J’aime : « la pointe cassée tout net dans un genou de cochon » , « la poche qui vient avec pour exhiber son vide, tissu blanc sur toile bleue ».
Quelle belle translation. Et le texte qui commence et se termine avec les oiseaux
Merci Nathalie, oui, c’est ça un peu l’objectif, tour de l’atelier, jusque dans tous les petits recoins, même jusqu’au fond des poches ….
oui, tout est toujours compliqué avec ces histoires là, pas une histoire d’argent quand on ne parle que de sous….
« reprends tes sous »
mais oui car il n’est pas question d’argent dans cette histoire…
on fouille avec toi les recoins de l’atelier et jusqu’au fond des poches…