… je cherche un livre pour l’anniversaire de l’actrice : une fête dans le jardin de l’actrice célèbre qui aura quarante ans demain : viens, on m’avait dit, elle cherche une répétitrice pour son fils, tu as tes chances – quelle importance pour l’histoire… Je sors du cours d’esthétique, ce trimestre la photographie est au programme, je remonte la rue sac au dos : premiers jours de mai, soleil ; des gens arrêtés regardent le ciel : là ! dit une voix… Et il y a cette grosse tête barbouillée de chocolat qui hurle dans une poussette, je pense au bébé de D. Arbus … je pense à l’enfant à la grenade dégoupillées, quelqu’un court maintenant vers le bus : « priorité vitesse »?…
La librairie est à cinq minutes du métro, j’y suis entrée quelques fois – une large vitrine balafrée renforcée de cartons, « elle a pris une pierre on m’avait dit, c’est pas la première… » On vient pour soutenir… : Bonjour : Bonjour : Beau: Oui : Chaud…
Étagères, tables : choix du libraire avec ou sans fiche ; choix orientés programme : Barthes entre L’image fantôme et Benjamin, les mains de Georgia O.Keefe photographiées par Stieglitz sur une couverture cartonnée ( est-ce qu’elle lui ressemble aux mains de Georgia, l’actrice célèbre ? … Tu ressembles à ses mains, m’avait dit D. Devant « La Solana » au Louvre, ses mains longues croisées gantées de blancs sur la robe sombre, des mains… « à vous donner le bon dieu sans… », m’avait dit D… mais quelle importance pour…)
Je pense au livre de Tsvetaïeva, lettres à une amazone, Mon frère féminin, un petit format à couverture bleue, un livre qui se glisse dans une poche, je le repère sur l’étagère : lettres d’amour de la poétesse à Natalie Clifford Barney ( j’avais dessiné les culs de lampes de cette édition… mais qu’elle importance pour l’histoire ); ou Rilke, Le testament? Ou Reverdy ? parce que Reverdy, je l’aime. Je pose les trois livres sur le bord d’une table, j’ouvre d’autres livres, j’arpente encore les rayons …
Je le lui tend, il l’enregistre : Un paquet ce serait possible : Oui : Merci… : De quelle couleur le papier, vert ? : Bleu – c’est toujours joli…bleu (vert pour une actrice tu peux pas.) Il encaisse le billet et, avant de me rendre la monnaie, il me demande d’ouvrir le sac : Le votre oui ! je veux voir … les livres au fond… volés, enfouis… Je crie qu’il appelle les flics… Je renverse le sac : La chambre claire tombe gueule ouverte, annotée pages froissées. Gisent : feuilles volantes, carnets, canif, culotte, tampons, bics, quignon de pommes et pain rassis, clés, même un caillou, cette pierre que j’avais ramassée pour D … T u le v ois ( je vais lui défoncer sa caisse ), tu le voi s qu e… (même pas pensé trop conne mê me en rêv… pas Rien tro p con n e RIEN…) juste mon livre … Tu … RIEN. Et ça me revient, la chanson, l’Orange, à la radio : t’as volé pas volé l’orange : t’as… l’orange : l’orange du… en boucle avec mon frère tu l’as ou pas…
Le soir je raconte l’histoire à D., on partage un atelier, on dort dans un lit à une place avec D. il peint des pommes (comme Cézanne ) je pose pour lui aussi, et lui, à tour de rôle : Tu es ma pomme il dit, D. mon frère au masculin. D. c’est un expert en pomme et un expert en barbotages divers, pourtant il nage très bien : ancien champion de brasse papillon junior faut voir les épaules, mais grand et léger comme une libellule, quand il marche on dirait qu’il vole… Expert en petits larcins de géométrie variable; livres et pinceaux, principalement : Toujours pour mon usage personnel il dit, D. – il mange du saumon et boit du champagne presque tous les jours (les gens l’aiment bien D., il régale) … c’est simple t’as qu’à te servir…Proust dans toutes les collections, en double exemplaire, il a : Te prive pas, prends… et l’album Rimbaud de la pléiade mais celui là il le garde. Plus c’est gros dit D. (c’est dans les années 80) mieux ça passe : des piles de livres d’un coup, des Vinyls, même une lampe sur pied avec son abat jour et la table basse assortie… il s’habille aussi, du noir toujours : T’as qu’à te servir, dit D…
Après il me raconte l’histoire du saucisson qu’il avait glissé dans son pantalon un jour de pluie, un mauvais jour, un jour à s’abstenir : Le coup il faut le sentir et ce jour là justement… Avant de payer la bouteille de lait il voit l’œil du vigile, il replonge dans les rayons, repose le saucisson, revient à la caisse avec un paquet de biscuit ,des spéculos il précise, avec le lait la cannelle c’est bon, on lui demande de montrer son sac… après c’est fouille au corps.
Quand je me suis déshabillé le soir, m’avait raconté D, j’avais l’étiquette Fleury Michon collée sur le pubis
…et bien comme ça, j’ai vos « culs de lampe »… Bonne journée !
incroyable, c’est une vieille édition ils ont disparu après . Merci Stéphanie
Extra ce texte ! Un régal, merci !
Ce texte, on le lit, on le vit… tout est dit. Merci!
Ha oui exquis Nathalie que ce texte ! Merci.
Un jour, j’ai acheté un saucisson, il avait plus d’étiquette… Merci Nathalie.
tu me fais bien rire ! merci
Merci beaucoup Françoise, Stéphanie, Clarence
la quête d’un livre, une actrice… et ton talent
merci Nat
Vivant, tellement, qu’on se ferait prendre la main dans le sac(het de mini saucisson)
Françoise et Perle merci de votre passage.