#gestes&usages #05 | Une belle journée

En tant que préposé de second grade affecté à la distribution du courrier, comprenez qu’il me soit impensable de flâner. D’ailleurs ce ne serait pas le genre. L’immeuble de la Karapatevou-Compagnie compte environ 25 étages , chaque étage comprend 10 bureaux, et, dans chaque bureau on peut envisager de tomber régulierement sur cinq postes de travail avec assis sur une chaise, ou un fauteuil, ou encore un tabouret, un ou une individu – qu’on mettrait un temps fou à saluer selon l’usage courant des désœuvrés. Embrassades, serrages de mains, courbettes et réverences, blague de potaches. Non merci, pas de ça Lisette ! Aussi, dès réception des gros sacs de la Poste à potron-minet , j’effectue le tri par étage , par bureau , par service et patronyme. Puis, je dépose cette manne dans un ordre immuable, petits destinataires en bas, grands au dessus, et vlan, dans mon chariot. Puis je me dépeche d’aviser le moment où le couloir est vide et d’emprunter, soulagé, l’ascenseur jusqu’au 25e pour redescendre un étage après l’autre jusqu’en bas. À chaque étage , comme une bombe je déboule, pose le courrier, ne dis ni bonjour ni au revoir, ni rien, tel un souffle de vent, un invisible. Et ça me va très bien. Vous pourriez penser qu’à l’heure du déjeuner je profite du vaste restaurant de l’immeuble. Pas du tout. Le simple fête d’imaginer m’asseoir à une table où des convives sont là réunis fourchettes en suspens et à qui il faudra parler , échanger, me donne à l’avance le tournis quand ce n’est pas la nausée. À midi tapant , je sors mon casse-croûte et disparaît à l’entresol. Ici sont les archives et on n’y voit jamais personne . De ma poche je sors mon Plutarque « vie des hommes illustres » que je le lis lentement religieusement durant toute une heure en mastiquant soigneusement chaque bouchée de mon sandwich. Parfois aussi je m’assooupis. Enfin, quand il est 13 : 45 h je remonte, reprends ma tournée , toujours de la même façon ainsi que je le fais tous les jours , cinq jours par semaine, 50 semaines par an sans compter les jours de congés évidemment. Je pensai à toutes ces choses comme cela arrive en plein mouvement répétitif dû à l’habitude bien ancrée quand je m’apercois que soudain, oh ! mais quelle surprise , mon pouce est sur l’index de la secrétaire-adjointe du département Recherche et développement du quatrième. Sous la pulpe un peu moite de mon doigt , refroidit tout à coup par le vernis glacé l’ongle, de son index à elle-sensation tout à fait insolite, differente en diable de celle prodiguée par la fraicheur habituelle de la porcelaine du bouton de l’ascenseur. Me voici donc à sursauter.

-moi  

-oh oh ! et la dame du coup aussi : – Hiiiiii! 

puis un blanc : blanc. 

Donc, nous nous excusons platement, surtout moi, pardonnez-moi, quel idiot par ci quel imbécile par là -ainsi que les personnes convenables doivent le faire. Et vite vite vite , plus vite que ça, après ce malencontreux incident, nous fusons de plus belle vers nos missions respectives. Et ma foi, malgré cela, (ou gràce à cela , on ne sait plus) , je crois bien qu’il s’agit d’une belle journée, une journée presque comme toutes les autres.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

2 commentaires à propos de “#gestes&usages #05 | Une belle journée”

  1. superbe développement pour en arriver au minimum de … peut-on dire phrase non-verbale, à ce niveau 🙂
    et vient tranquille le dénouement qui n’est ps si anodin