Train en gare de départ. Vingt-deux-heures. Voiture bondée. Cinq déboulent. Pas de danse ; ils, elles, dans les vingt ans. Leur langue autre, presque un chant, portugais je pense. Couleurs . Losanges, carrés, fleurs… pulls, écharpes : un faux air Soixante-dix. Deux garçons et trois filles. L’une d’entre eux, cheveux noirs très courts, visage juste sorti de l’enfance : son rayonnement.
Chahut de voix, passes joyeuses : les cinq.
Assis. Debout. Les voyageurs pianotent écouteurs aux oreilles ; d’autres dorment. Juxtaposition de corps. Chacun sa bulle. Les cinq dans la langue autre. Leur chant. Les cinq en canon. L’annonce des hauts parleurs se dilue. Regards et ruades d’épaules : ils vont se taire oui ou merde on n’entend pas l’annonce.
Silence cou coupé. Le train part. Roule . Cinq minutes. Sept … s’immobilise. Paysage embué, reflets liquides ( une image à faire cette matière -spectrale- je garde mon téléphone dans ma poche) : Rupture de l’alimentation électrique, la voix grésille. Vient l’obscurité. La buée. Vient l’irrespirable : Attente indéterminée. La voix se fond à la nuit.
Beaucoup se sont assis par terre, les cinq avec eux. La fille aux cheveux courts brille dans la lumière de son écran. Je le vois lui adossé à la porte. Juste en face. Son téléphone s’est braqué vers leur groupe. Il enregistre. Il le semble.
C’est furtif. Probable. Incertain. ( ce rapt d’image ). Elle l’a vu faire ? La fille aux cheveux courts dresse son regard vers lui. Elle le fixe pleine face. Des yeux, elle le saisit. C’est direct. Abrupt.
Elle le tient dans son regard.
ça danse et j’ai été aspirée dans ce texte chaloupé par les sonorités des mots et les rythmes des phrases. J’aime beaucoup, on sent toute la vie qui se dégage du groupe des jeunes voyageurs, leur légèreté mais aussi leur force avec ce regard tellement puissant à la fin. Amusant le commentaire « ils vont se taire oui ou merde on n’entend pas l’annonce »!!
J’aime les mots posés comme des touches de couleurs, des notes. Naturel, direct, abrupt. Merci.
J’aime tout particulièrement: « Leur langue autre » ; « visage juste sorti de l’enfance : son rayonnement ». J’aime l’usage des parenthèses.J’aime: « Elle le fixe pleine face » ; « Elle le tient dans son regard ».
(si ces deux-heures trente de voyage en place des 27 minutes quotidiennes ont pu essaimer quelques images ? ) Merci beaucoup Francesca, Jean-Luc, Natacha
Vivante cette captation à vive allure. Une suite de flashs. « Elle le tient dans son regard », comme celle qui a écrit la scène nous tient dans ses phrases qui pulsent. Merci, Nathalie.