Dans son groupe, sa famille, son monde — et sans doute manquaient-ils de politesse aux yeux d’autres — la poignée de mains était réservée aux politiciens en campagne ou autres personnes du même acabit ; ce qui s’en rapprochait le plus était le baise-main qui avait un petit charme désuet de bon aloi tout comme la révérence des adolescentes, leur main sur la main des femmes assez mures pour être leur mère ou au delà ; croisant qui le méritait, ou en abordant un groupe, on inclinait légèrement la tête en souriant… avec la réserve de qui ne veut pas déranger.
Dans son groupe on ne s’embrassait pas ni ne posait ses lèvres sur une joue, sauf les rides poudrées ou non des vieilles femmes, les enfants à consoler et les aimés ou aimées quand étaient dans la peine et, oui, quand étaient dans la joie ou auraient dû l’être comme pour une fête carillonnée ou un anniversaire. Le mot « bonjour » n’était prononcé que lors d’une rencontre le matin dans la cuisine à l’heure du petit-déjeuner, ou, sans s’arrêter, en passant la porte de son bureau ou d’une salle d’attente de médecin ou autre. En réponse aussi ou quand la personne de l’autre côté d’un guichet semblait l’attendre. Le cas échéant on se contentait d’un « salut » légèrement transgressif, mais uniquement en s’insérant dans un univers amical. Et toujours cela devait être bref, quelques secondes, pour ne pas empiéter sur la vie de l’autre, ou retarder la conversation désirée.
Depuis qu’elle s’était transportée dans cette ville elle avait peu à peu compris qu’elle créait ainsi une distance non souhaitée avec ses nouvelles connaissances ou amis et, sans pouvoir se résoudre à la poignée de main, elle s’était mise à poser ses lèvres sur la joue de son vis-à-vis sans déplaisir, puis après que la remarque lui ait été faite, à rire, à dire « c’est vrai, trois fois », et à s’exécuter ce qui créa un petit rite attendu… et puis la Covid est arrivée, avec les grands « bonjours comment allez vous ? » échangés avec ses contemporains de trottoir à trottoir, et aux bonjours bien marqués en posant ses achats à côté d’une caisse, puis lorsque le confinement fut assoupli puis levé l’arrivée des coudes heurtés qu’elle ne pouvait se résoudre à imiter et des poings fermés se heurtant avec toute l’affirmation et la force de ses jeunes amis qui lui faisaient mal. Alors, d’instinct elle a adopté sa version, peut-être avec le vague souvenir du charme souriant d’un ami venu d’Asie, loin dans son passé.
Deux mains jointes levées devant un visage qui se penche face à des rires bienveillants.
La Covid a perdu de sa force et a été presque oubliée. Les gestes convenus alors ne sont plus de saison, mais il lui semble qu’il en est resté quelque chose… dans les rencontres du groupe habituel, comme dans son monde d’avant, les entrées en matière se passent allègrement de cérémonie, un sourire et la bienveillance mutuelle suffisent, le but commun aussi. Restent, pour son plaisir les saluts échangés, verbalement, assortis parfois d’un bref arrêt pour renouer avec nouvelles et plaisir de l’échange, lors de rencontres fortuites dans les rues… avec de sa part la légère hésitation pour les plus jeunes qu’elle n’est jamais certaine de reconnaître vraiment. Elle ne rencontre plus guère les siens, si rarement que le baiser s’impose chaque fois pour l’accueil… mais quand elle voit un poing fermé surmonté d’un sourire se diriger vers elle, elle fait toujours un pas en arrière, joint les mains, les lève devant sa tête qui se penche, parce qu’elle aime ce geste, parce qu’un sourire y répond chaque fois, parce qu’il va bien avec le mot « saluer ».
délicatement nôtre, comme toujours
merci (honte – n’ai encore rien lu et je crains de ne as le faire avant demain)
Merci Brigitte pour ses mains jointes. Elles s’élèvent.
je connais bien le « elle » 🙂 … c’est tout de même mieux que les poings qui se rencontrent non ?
une délicatesse libérée du temps… quel apaisement, merci
merci « délicatesse » ? moi la maladroite 🙂
l’expérience géographique du nombre d’embrassades ( c’est pas que chez nous côté maternel ça ne se pratiquait pas) ): ici c’est quatre , ils avaient dit; me souviens de cette arrivées sur le plateau de montage à sept heures et l’enchainement des… (quatre fois dix). C’est vrai que le/la Covid a laissé des traces et parfois arrangé les choses. Les mains devant le visage qui s’incline… Merveilleux…
Nathalie et dans les régions les « chapelles ou classes »… heureuseent en disant savais pas et s’appliquant on est toléré (mais k’avoue que je n’adore pas les contacts obligatoires et de simple courtoisie sans contenu
Le texte n’est pas qu’agréable à lire, il est réflexion sur nos pratiques de salut, je le trouve nécessaire et sage, merci pour ces autrefois ramenés et pour la pratique personnelle présentée, les mains jointes contre le poing tendu. L’image est belle. Merci, Brigitte.
oh ces poings sont tendus très fraternellement… mais mes tiotes mains aiment pas, sont trop osseuses