Les mâts des bateaux auréolés du petit drapeau jaune et bleu se balancent et tintent dans le port, protégé du large par une myriade de blocs de granit. Il est temps de se séparer. Les femmes sont les plus nombreuses, puisque nous ne sommes que deux jeunes hommes, les deux français, au milieu de ce groupe amical et familial. La succession des moments de détente puis de l’efficacité lorsque la décision d’un départ est prise nous surprend toujours. Notre amie se lance dans une série de « hugs » avec sa famille. Cette forme de salutation nous est devenue commune avec celles et ceux avec qui nous avons vécus plusieurs semaines plusieurs années de suite dans les champs au début de l’été. Il est pour nous beaucoup plus impliquant relationnellement, avec toute la sincérité qu’il implique dans son mouvement, ses modulations de pression, son balancement, son temps de pause, ses petites ponctuations de tapes amicales au moment de se désaisir de l’autre, que nos poignées de mains ou nos bises multiples. A tel point que nous le conserverons au retour entre amis proches qui ont partagé ce temps si particulier des saisons de cueillette. Mon ami présent est aussi beaucoup plus habitué que moi à une telle présence féminine, lui rappelant sa propre famille avec plusieurs sœurs. Au moment de saluer la grand-mère, une petite hésitation. Elle s’avance bras écartés et les enlace chaleureusement autour de mon dos. Jamais je n’avais eu un contact intergénérationnel aussi proche, avec aucune de mes grand-mères en particulier. Je me penche un peu surpris et pose mon bras près de son omoplate opposée. Elle marmonne en même temps des adieux dans sa langue chantante que je ne comprends pas. En marchant le long du débarcadère, Anna nous explique que les salutations sont beaucoup plus formelles en dehors de ce petit cercle emporté par l’élan des joyeuses journées d’août.
Émouvant ce passage de la formalité des adieux et de leurs gestes codés à tout ce qui est dessous, ou pas, pour les uns et pour les autres