Dans le cuvage fermente l’été.
Le réfectoire est un garage aménagé. Les lumières du dedans éclairent les seaux et les hottes retournées sur le gravier rouge de la cour. Les vitres sont couvertes de buée. Ah la salope, va laver ton cul malpropre. Sur les bancs en bois, le long des tables sur tréteaux, femmes et hommes, jeunes et vieux, se serrent les uns contre les autres et hurlent tant et tant. Je bande mon arbalète et lui fourre droit dans le cul. Ils chantent le sexe fantasmé, les salopes, les curés vicelards, le mâle lubrique, la femme insatiable, les cocus. Ils retournent la toile cirée et la coincent sous leurs assiettes avant d’y verser de l’eau. T’as le cul comme un chaudron, on y rentrerait Marseille et la rade de Toulon. Ils ont bu plus que de raison, du casse-croute de 9h jusqu’au soir. Tous ont le dos cassé. Ils ont soif de vin et d’être mêlés, ils veulent rire et pleurer tout en même temps et que cela advienne aujourd’hui et maintenant. Ils le chantent. Ils le font.
Deux silhouettes en cirés jaunes allongées sur l’herbe d’un talus. À peine éclairées par les lumières du réfectoire. Sous une pluie fine et glacée. Corps suants sous le plastique imperméable. Cheveux emmêlés. Mains tachées au jus de raisin. Phalanges tailladées par la serpette. Ongles noirs. Tremblements de ces corps pleins de désir. J’ai froid, dit-elle.
Et la main glacée de la fille sur le ventre du garçon.
Avant de rejoindre nos commerces en faillites, nos fermes isolées, les trois huit, avant de retrouver notre chômage, nos amphithéâtres bondés, nos fêtes de village, nos sols à carreler, avant de construire nos familles, de prendre chiens et crédits, de finir alcooliques ou notables, d’enterrer nos proches, de ramer, de lutter, de nous chercher une normalité, une dernière fois nous les referons ensemble les vendanges de l’amour.
J’aime beaucoup la fin très juste (mon premier travail premières vendanges).
Touchée par ce mélange de grossier, de pudeur, de regrets et du reste, de l’ivresse de partout…
Bonheurs de ces « avant de » qui nous font comprendre que ces re-vendanges n’attendront pas la saison suivante… « ma comparaison peut-être sur tes lèvres »…
joli morceau quelque part entre Gaston Couté et Ramuz. Elle tombe bizarre la dernière phrase au niveau rythmique je trouve, ce qui fait que l’on ne perçoit pas ce qu’elle peut contenir d’ironie acide. Reste alors, le péril mélancolique.
C’est que je ne voulais pas y mettre de l’ironie, plutôt une forme de tendresse. Et puis le texte vient d’une réaction à cette chanson de Marie Laforêt que, finalement, je n’aime pas vraiment: « Et ta main comme une chaîne viendra se fondre à la mienne », quelle horreur ! J’étais un peu embêté avec ça. Mais j’ai aimé la dissonance que ça créait (en moi du moins). Vendanges: pinard et chansons paillardes + fragilité (tendresse, camaraderie, sensualité).