Le petit garçon sur la photo, tout pâlichon, je le reconnais sans peine. Le visage est flou, les cheveux bizarrement longs, mais avec le fauteuil, le pull en jacquard trois couleurs tricoté par Malice par-dessus le pyjama à écureuils… même si je n’ai aucun souvenir de ce moment, je sais que c’est moi, sur la photo. Cinq, six ans. Et la main avec le petit jouet sur mon bras, c’est celle de mon frère. Mon frère aîné. Sasha. Celui dont mes parents nient l’existence depuis vingt ans. Quand Malice est morte tout d’un coup, la maison vendue, ils m’ont emmené faire un long voyage « pour oublier tout ça ». Mes parents avaient les larmes aux yeux quand j’évoquais mon frère. Ils avaient peur de me voir perdre la tête, comme Malice.
Et je les ai crus. J’ai cru que j’avais rêvé, que j’avais été fou, qu’il n’y avait jamais eu de Sasha, que c’était un ami imaginaire. Nous sommes revenus, j’ai tout misé sur les bonnes notes. Je ne pensais plus à Malice. La maison était partie au grenier. Je me sentais seul à crever. Il n’était plus question d’avoir un chat ni des jouets de petit. Seulement des puzzles et des jeux de société. Mes parents avaient bazardé toutes les photos par la même occasion « pour m’aider à y voir clair ». Le Docteur Legris était persona non grata. Confusément, je lui en voulais, j’en voulais à Malice de m’avoir trompé, d’avoir entretenu un mensonge, un mythe, une confusion… à l’adolescence je cachais ma colère sous les excellents bulletins trimestriels. Ma grand-tante, Queeny, me gâtait, me pourrissait… Mes souvenirs d’enfance disparaissaient à vue d’œil. J’étais très angoissé et il n’y avait plus de réponse à cela. Et ça a duré jusqu’à maintenant. Jusqu’à la photo de la main de Sasha, avec la toupie rouge sur mon bras.
Chère Emmanuelle, ton texte m’a touchée de plein fouet. Merci et bravo. C’est fort et émouvant. Ces secrets que l’on tait mais dont on sait enfant qu’il y a quelque chose qui n’est pas dit mais qui est là. Bonne journée à toi.
Merci Clarence de ton mot qui m’encourage à point nommé. Ui m’encourage à continuer au moment où je sens un tournant, une résolution, pour un texte qui vit à sa guise depuis longtemps. Te lisant, je me rends compte que la crainte de manquer de force, de puissance dans l’écrit ne m’ à pas quittée, hélas, après tant d’années… mais aussi que j’ai abordé dans les parages dès longtemps désirés : là où les mots, comme le vent peuvent fouetter les visages. Là aussi où les machines se percutent…
Merci pour ce texte fort et fortement émouvant. Cette photo qui détruit 20 ans de mensonge…
J’aime beaucoup cette phrase: « La maison était partie au grenier »
C’est une phrase importante : ce texte a changé de niveau quand la maison m’est apparue comme un corps confondu avec celui de ses habitants, passés, présents et à venir…
Très beau texte. Dans cette maison réfugiée disparue sous les combles. où ne restent que puzzles, jeux de société et bonnes notes. Ce que peut une photographie. Une main. Une toupie rouge…
C’est une phrase importante : ce texte a changé de niveau quand la maison m’est apparue comme un corps confondu avec celui de ses habitants, passés, présents et à venir…
Merci Nathalie. J’ai mis si longtemps à comprendre que la maison était au centre… ça me fait tourner la tête (comme une toupie) ces choses qui nous crèvent les yeux.
oh le choc et la beauté